On entend dans cet enregistrement audio d’une table ronde sur la déportation vue par le cinéma que j’organisai en 1998, Armand Gatti raconter au public sa déportation et son évasion du camp de Neuengamme, puis son transfert dans un camp d’extermination. Ces faits sont contestés par L’amicale des déportés de Neuengamme et de Mauthausen. (cf. photo du journal de Mauthausen en bas de page). Au terme d’une enquête que les anciens déportés ont mené, Gatti a finalement reconnu en 2011 n’avoir pas été déporté à Neuengamme.
Par ailleurs, l’Amicale affirme, après concertation avec les autres Amicales d’anciens déportés des camps nazis, que Gatti n’a jamais été déporté dans aucun camp nazi mais qu’il aurait travaillé en Allemagne au titre du STO.
Vous trouverez la transcription, mot à mot, en bas de page à partir de la 14e minute de mon document audio.
Je ne souhaitais pas parler de cette affaire, pénible et sordide, mais la sortie récente du film L’enclos, le 10 décembre, accompagnée d’initiatives en l’honneur des 70 ans de la libération des camps exige la clarification demandée par les Amicales de déportés.
L’enclos sera projeté au Méliès, le 29 janvier à l’initiative des Amis de l’Humanité pour célébrer les 70 ans de la Libération des camps...ce choix n’est pas judicieux et -
Cela fait quatre ans que l’inter-Amicale des déporté(e)s de Mathausen et de Neuengamme a communiqué que Monsieur Armand Gatti n’avait pas été déporté à Neuengamme. Un fait que le dramaturge avait fini, lui-même, par admettre en avril 2011 dans une lettre parvenue à l’Amicale de déportés et que rappelait le journal Le monde du 23 juillet 2011 :
http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CCMQFjAA&url=http%3A%2F%2Fcampmauthausen.org%2Flibrairie%2Fbulletins%2Fdoc_download%2F34-bulletin-nd325&ei=wBnCVJCOKcytUZnXgMgI&usg=AFQjCNEpJrKzAi4DpIoFNox1JVq1d8R97g&sig2=BM2gO3qzmEav9eGOPA_TKA&bvm=bv.84349003,d.d24
et http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/07/23/je-n-ai-jamais-ete-a-neuengamme_1552041_3224.html
Aujourd’hui encore, des associations, des critiques de cinéma, des journalistes, des directions de salles de cinéma programment le film en ignorant la mise au point réclamée par les Amicales de déporté(e)s à savoir : ce film appartient à la fiction et ne doit pas être considéré comme un témoignage sur la barbarie nazie.
Ainsi, le 20 janvier 2015, je lis sous la plume de Martine Landrot sur le site de Télérama : « Sauf que ses 18 ans, Gatti les a eus dans les camps. Résistant, arrêté, condamné à mort, puis finalement déporté (…). Dès 1945, il écrit des pièces (…) sur son expérience concentrationnaire »http://www.telerama.fr/cinema/films/l-enclos,14719.php
ou encore ce texte de Charles Silvestre pour une présentation du film en présence de Gatti invité à venir célébrer les 70 ans de la libération des camps, une initiative organisée par Les amis de l’Humanité le 29 janvier 2015 au Méliès de Montreuil « La singularité de l’Enclos est d’avoir été réalisé par quelqu’un qui a été lui-même déporté - résistant à 18 ans » - L’Enclos, Gatti, au Méliès
http://www.amis-humanite.com/index.php?option=com_content&view=article&id=408:29-janvier-2015-lenclos-gatti-au-melies-avec-les-amis-de-lhuma&catid=43:evenements&Itemid=200
Pourquoi le mythe court - t’ il encore ?
Est-ce parce que l’information donnée par les Amicales de déportés ne leur seraient pas parvenues ? L’information a t - elle mal circulé ? Existe-t -il un intérêt commercial (ou autre) à taire le rectificatif et l’information aujourd’hui demandés par les déportés véritables ?
La mise au point s’avère d’autant nécessaire que le film est souvent montré aujourd’hui pour célébrer le 70ème de la libération des camps et aborder par son biais la question de la barbarie nazie.
Ayant moi même invité Armand Gatti à venir présenter L’enclos lors d’un débat que j’animais un dimanche après-midi de 1998 au Méliès de Montreuil, j’ai souhaité en savoir plus sur cette affaire. J’ai donc sollicité lors de la sortie du film le 10 décembre dernier d’obtenir des précisions auprès de l’Amicale des déportés de Mauthausen et de Neuengamme pour ma chronique cinéma.
En réponse est parvenue une lettre écrite le 30 décembre 2014 et précisant que son contenu a été rédigé en accord et avec le soutien des Amicales des autres camps de concentration nazis.
Cette lettre, à en tête de l’ UNADIF (Fédération Nationale des Déportés et Internés de la Résistance) et de la F.N.D.I.R.P (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) représentée par Jean Michel CLERE Président de l’ Amicale de Neuengamme et de ses kommandos et signataire du texte, communique : « A l’occasion de la sortie du film, restauré, d’Armand Gatti, l’Enclos, l ’Amicale de Neuengamme, soutenue par les amicales des autres camps de concentration nazis, rappelle que monsieur Armand Gatti n’a jamais été déporté à Neuengamme. Il ne figure, non plus, dans aucun fichier recensant les déportés. Dans un courrier du 8 avril 2011, il reconnaît "je n’ai jamais été à Neuengamme".
En cette année du soixante-dixième anniversaire de la Libération des camps de concentration nazis, nous considérons qu’une nécessaire mise au point est un devoir de Justice à rendre aux véritables déportés.
Dès lors, nous estimons que ce film sans préjudice de ses qualités artistiques, ne doit pas être considéré comme un témoignage mais comme une œuvre de fiction et nous demandons que la nouvelle copie de ce film soit précédée d’une notice explicative claire le précisant ».
Une amie m’affirmait récemment que jamais Gatti n’avait dit avoir été déporté à Neuengamme et que c’est l’Amicale de Mauthausen qui l’a prétendu ! C’est normal, cette amie a consulté la biographie de Gatti telle que racontée par La parole errante, c’est à dire Gatti lui même qui a changé sa biographie sur ce point depuis 2011 !!! Ce n’est pas la première fois que j’entends ce type de rumeur.
Aussi j’ai souhaité y coupé court en faisant entendre les propos tenus par Monsieur Gatti dans la salle du cinéma Méliès de Montreuil lors du débat que j’ai animé un dimanche après-midi de 1998 et dont la première partie fut enregistrée. Ces propos ont été tenus deux ans avant l’enquête que l’Amicale des déportés a conduite.
Vous entendrez Gatti dire, à deux reprises, avoir été déporté à Neuengamme, des propos... qu’il démentira deux ans plus tard en reconnaissant "Je n’ai jamais été à Neuengamme".
Voici le cadre dans lequel se déroulait le débat : il s’agit d’ une table ronde entre trois réalisateurs invités à présenter chacun son film, puis à débattre entre eux.
Les trois films étaient Drancy avenir d’Arnaud des Pallières, L’authentique procès de Carl Emmanuel Jung de Marcel Hanoun et L’enclos d’ Armand Gatti, ce dernier film était le seul que je n’avais pas vu avant de le programmer.
L’intention dans ce débat était de questionner :
1) l’affirmation de Lanzman que la fiction serait impossible pour parler de la barbarie nazie.
2) la réflexion d’Adorno sur écrire « après Auschwitz ».
2) l’affirmation que la fiction est possible telle que défendue par le philosophe Jacques Rancière dans un texte à propos de Drancy Avenir
Tout ceci avait conduit au choix de programmer trois films de fiction dont ceux de Marcel Hanoun et d’Armand Gatti qui demeuraient rares et peu montrés. Armand Gatti me semblait un témoin précieux par « son expérience » des camps mentionnée dans la plupart des livres de cinéma où figurait son nom. Et la réputation ainsi faite de l’auteur de « L’enclos » a joué dans le fait de primer le film à Cannes, Moscou, Mannheim. L’enclos était ainsi présenté partout dans le monde comme premier et seul film français à avoir été réalisé par un ancien déporté et certains comme Maurice Druon proposaient d’ériger une statue en France à la gloire de son auteur.
Enfin et à propos du cinéma :c’est le droit de Gatti de tenir l’écriture cinématographique pour inférieure à celle des livres, « Un livre ce n’est pas pareil » l’entend -on dire dans le débat, mais à cette vision réductrice de la création et de l’écriture répond l’excellent point de vue du cinéaste Marcel Hanoun qui fut aussi auteur de textes.
Au delà de la question du mensonge, on appréciera les propos tenus par Gatti, à propos d’Hitchcock monteur et conseiller technique du terrible et remarquable documentaire de Sydney Bernstein sur la libération du camp de Bergen Belsen, Memory of camps, des propos qui me semblent parfaitement belliqueux et déplacés ( Gatti aurait aimé « casser la gueule » d’Hitchcock s’il l’avait vu tourner autour de son camp !).
Enfin les propos extrêmement virulents - que je ne peux que qualifier d’ignobles, à l’égard d’Alain Resnais m’apparaissent rétrospectivement comme relevant de cette « infamie » dont on entendra Armand Gatti accuser ici Alain Resnais.
J’ajoute que la démarche artistique et documentaire du réalisateur de Nuit et brouillard m’apparaît, aujourd’hui encore, comme infiniment remarquable et digne et tenace et courageuse dans une période où la censure interdisait librement de parler du sujet.
Etant donnée la promotion du film L’enclos par des associations ou des directions de salle qui croient pouvoir honorer en montrant ce film les 70 ans de la libération des camps de concentration, il serait sain que la parole des déportés véritables puisse être entendue des spectateurs.
Ainsi le 29 janvier, je ne reverrai pas L’enclos à Montreuil .
je ne souhaite pas cautionner la falsification de l’histoire en présence de Gatti.
J’irai -si je le peux- dès 18h30 à la Bibliothèque nationale de France Site F. Mitterrand (Paris) / Petit auditorium (Entrée Est) M°6 et 14 : Bibliothèque François Mitterrand / Entrée libre pour la présentation des archives audiovisuelles pour l’histoire du camp de Drancy et de la Résistance juive images issues du film Cité de la Muette, en présence de Paulette Sarcey (une femme remarquable et une montreuilloise qui fut résistante et déportée à Auschwitz), Robert Endewelt et André Radzynski (anciens FTP MOI)…
extraits des PROPOS de GATTI (audio)
Ainsi à 3’ 23" de ce document audio :« … sauf que je m’étais évadé vers la fin des camps, j’avais trouvé le moyen de m’évader »…
14’ 27" du document audio « … moi mon expérience telle que je l’ai vue, telle que je l’ai vécue parce que j’étais en camp. Je n’ai pas fait Drancy parce que j’étais un politique, je suis parti de Bordeaux là où on juge Papon en ce moment ...à Neuengamme et puis de Neuengamme, j’ai été dans les cloches sous-marines le seul camp qui était à deux cents mètres sous la mer dans la Baltique. Voilà. A 16 ans, non voyez… non voyez à peu près 17… j’ai évité le people parce que tous ceux qui étaient visés par le Kapo c’étaient les enfants pour qu’ils deviennent leur femme quelque chose comme ça, ce qu’on appelait les people qui étaient dans une situation intenable ou ils se soumettaient immédiatement avec leur innocence, leur besoin d’exister au plus fort ou alors c’était la chambre à gaz dans la semaine qui suivait. Il y a une baraque numéro douze qui pour moi reste marquée à tout jamais qui reste le lieu où on mettait en attendant… trois heures du matin parce qu’on mettait la chambre à gaz se faisait à trois heures du matin ...les départs pour la chambre à gaz se faisaient à trois heures du matin après le petit déjeuner, si on pouvait appeler ça un petit déjeuner et c’était le lieu où c’était notre obsession, c’était ne pas se retrouver là à un moment donné. Donc c’était mon expérience. Alors moi, raconter l’horreur, sortir les ignominies d’Alain Resnais dans "Nuit et brouillard" sur un texte valable en plus, parce que le texte de Cayrol* était infiniment valable et les images, cet espèce d’appel … évidemment j’allais le dire, il n’a jamais mis les pieds dans un camp …mais Cayrol lui était à Mauthausen et qu’on sorte… c’est le travelling, les plans courts, travellings arrière, travelling avant sur les barbelés et puis l’horreur, et puis l’horreur. Voilà. J’appelle ça … autant je défends le texte de Cayrol mais Resnais, je dis c’est de l’infamie. C’est pas de la fiction. C’est le cinéaste, il s’est amusé. Il a fait de la photo. Il y avait Vierny* qui montait, qui descendait, etc… Mon Dieu, mon Dieu… avec des états d’âme de temps en temps en appelant Marker pour essayer d’avancer le film parce qu’il avançait pas, il avait des états d’âme évidemment parce que le travelling ne marchait pas assez bien et c’est dans ces conditions là qu’on témoigne « Nuit et brouillard » d’ailleurs avec les meilleures intentions ;ça s’est appelé comme ça." . Total de l’extrait sonore du débat : 23’10 "
* Le poète et romancier Jean Cayrol a écrit le commentaire du film d’Alain Resnais. Son expérience de la déportation à Mauthausen, lui inspirera les Poèmes de la nuit et du brouillard.
* Sacha Vierny est le directeur de la photo de la plupart des films d’Alain Resnais