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Je salue ici deux amis disparus, Jean-Michel MENSION (alias Alexis VIOLET) qui écrivit sur les quais de la Seine le graffiti "Ici on noit les Algériens" et le photographe Élie KAGAN présent durant la manifestation du 17 octobre 1961. Elie prit des photos, dans la nuit et au flash, que Jacques Panijel a intégrées dans son film Octobre à Paris (cf. post suivant).
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-Sur cette photo, Jean- Michel (alias Alexis), dans son appartement de Clichy -sous- bois, comme toujours, devant son verre de vin... et, exception, vêtu d’une chemisette blanche !
Jean -Michel MENSION, qui fut de mes très proches amis, avait pris le pseudonyme d’Alexis Violet car il s’est longtemps habillé en violet. Jean -Michel militait en 1961 dans le Comité Pour la Paix en Algérie du quartier Seine Buci.
Il raconte à la page 208 de son autobiographie Le temps gage comment il devint l’un des deux auteurs du graffiti "Ici on noie les Algériens".
« Arriva le 17 octobre. Seule une poignée de métropolitains dont l’éditeur –libraire François Maspéro, étaient au courant. Les Algériens dans la nuit manifestaient contre le couvre feu qu’on voulait leur imposer. Dignité des opprimés face à la barbarie. Ce fut un massacre. Le gouvernement reconnut deux morts, en fait, il y en eut deux cents, trois cents peut-être. Battus, torturés, défigurés, assassinés et souvent jetés dans la Seine. On entendit fort peu de protestations.
Notre comité sortit un tract, colla une fois de plus des dazibao et décida d’une action plus spectaculaire ; il s’agissait de peindre sur les quais de la Seine une seule phrase : "ici on noie les Algériens". L’opération ne fut réalisée que quelques jours après le massacre. Beaucoup se trouvèrent des excuses, bonnes ou mauvaises, et nous ne fûmes finalement que quatre pour exécuter ce projet.
Nous descendîmes à deux* sur la berge , juste en dessous du quai des Orfèvres, pour badigeonner notre slogan. Les deux autres faisaient le guet aux bouts du pont. Nous n’en retrouvâmes qu’un en remontant. L’autre s’était perdu, dit –il…
Puis nous badigeonnâmes de nouveau le parapet sur la rue, en haut du quai. Le coup réussi, chacun rentra chez soi ».
*Jean Michel et Jean-Marie Binoche
ÉLIE KAGAN
Il ya des silhouettes familières et amies qui vous manquent. C’est ainsi pour Élie Kagan rencontré durant des années dans les manifestations du mouvement social et politique. Sa haute silhouette ne venait pas là seulement comme photographe, mais comme compagnon, solidaire des luttes dont il enregistrait la trace. Élie pouvait paraître un photographe solitaire, mais qui le connaissait découvrait un passionné, truculent et de grande verve.
Toute la famille d’Élie Kagan avait été assassinée par les nazis et pour survivre, dès ses treize -quatorze ans, Élie s’était caché dans Paris, marqué à vie par le sort tragique des siens.
Le fonds documentaire de ses 300 000 photos données à la Bibliothèque de Documentation Internationale contemporaine est précieux et constitue le principal témoignage sur la manifestation du 17 octobre 1961, des photos prises dans la nuit et au flash que Jacques Panijel a intégré dans Octobre à Paris.
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Jean- Michel MENSION alias Alexis Violet.
Extrait p. 208 de Le temps gage. Aventures politiques et artistiques d’un irrégulier à Paris. Ed.
Noésis, coll. « Moisson Rouge », 2001.-
Dans Le temps Gage , la "fille folle de cinéma’’ qui partage durant un an l’appartement de Jean-Michel et de sa compagne, c’est moi !
À propos de cinéma, on peut également voir Jean-Michel jouer dans le film (très, très chaud !) Allégorie de Christian PAUREILHE sorti en salles en 1975.
Nous étions une petite bande assez liée, l’écrivain Jean-François VILAR qui ne donne plus de nouvelles, Léonce AGUIRRE, Alexis VIOLET et moi-même.
Voici ce que Aguirre et moi même avions écrit lors de la disparition d’Alexis.
Les nôtres, Alexis Violet par Léonce AGUIRRE et Laura LAUFER.
L’itinéraire d’Alexis Violet - Jean-Michel Mension de son vrai nom - est hors du commun, comme le personnage lui-même est hors du commun. Issu d’une famille de militants communistes, à une époque où le moralisme de Maurice Thorez et de Jeannette Vermesch était à son apogée, il fréquentera assez vite les maisons de correction, hantera de nombreux bars, une période où l’alcool et l’éther servaient souvent de nourriture quotidienne. Dans les années 1950, il rencontrera Guy Debord, une rencontre décisive qui le fera entrer en politique en quelque sorte et lui évitera une descente aux enfers, comme il se plaisait à le dire. Il participera ainsi à la création de l’Internationale lettriste, ancêtre de l’Internationale situationniste, puis il adhérera au Parti communiste.
C’est dans ce parti qu’il fera la connaissance d’Alain Krivine, qui avait été muté dans la cellule dont il était le secrétaire, et avec lequel il partagera un combat commun jusqu’à sa mort, ce qui n’a pas été sans engueulades mémorables dont beaucoup se souviennent encore. Celui qui était presque toujours habillé en violet, « parce qu’il était tombé dans un encrier lorsqu’il était petit », disait une de ses amies, vivait à la marge, réfractaire à toute forme de discipline et au politiquement correct. Il avait cette extraordinaire capacité de défricher les terrains vagues de l’histoire et des nouvelles luttes. C’est ainsi qu’il a été le compagnon de lutte du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), des « sans », de toutes celles et de tous ceux qui ont la haine des prisons, des flics, des psychiatres ou des bureaucrates. Alexis a beaucoup compté pour la rubrique « Culture » de notre journal, et dans les débats sur la culture de notre organisation, notamment à l’occasion de ceux qu’il animait aux universités de la LCR. C’était pour lui le prolongement de son combat politique. Il entretenait avec l’art, dans ses rapports à la révolution, une véritable passion, mais une telle passion n’est rien sans cette intelligence si particulière qui permet de la transmettre, et Alexis la possédait.
Pour lui, les goûts et les couleurs, ça se discutait mais, comme il l’écrit dans le Temps gage [1] avec « de la pédagogie, pas de grandes envolées intellectuelles [...]. Découvrir la fonction et la place de l’art dans les luttes, et faire découvrir des choses peu connues ». Une ambition utile comme nécessaire. Dans cette rubrique, il aura parlé en premier de sa passion pour Charlie Parker. On se souviendra aussi d’un superbe papier sur Gauguin ou, il y a peu, de ceux sur Dada et la Sécession viennoise.
Jean-Michel aimait aussi la chanson : Marianne Oswald, Colette Magny, La Chanson de Margaret, de Mac Orlan... et le théâtre, de Büchner à De Ghelderode. Il savait aussi être émerveillé par Les Contes de la lune vague de Mizoguchi, profondément touché par La Maman et la putain, de Jean Eustache. Il aimait le cinéma, particulièrement Jean Renoir « un génie », selon lui. Mais l’art, pour lui, était aussi dans la vie et dans la rue, preuve que le mouvement social ne cesse de l’enrichir : rock, rap, graffitis, tags et autres expressions directement nées d’authentiques révoltes, celles des banlieues, des Beurs, des pauvres...
Alexis a su mener de rade en rade, de manifestation en manifestation, de lutte en lutte, la permanence d’un combat pour l’émancipation humaine. Au-delà de ce qui pouvait apparaître comme des excès ou des excentricités, mais qui témoignait en fait d’une révolte sans concession contre l’ordre de la société bourgeoise sous toutes ses formes, il avait une ligne de conduite dont il ne s’est jamais départi, car il savait que « la plus belle qualité humaine est d’être révolutionnaire » [1].
Alexis était notre camarade, il était notre ami. Il y avait avant Alexis, il y aura après lui, mais cela ne sera plus jamais la même chose."
Laura Laufer et Léonce Aguirre.°
Note
1. Jean-Michel Mension, Le Temps gage, Noesis, 23 euros. Il a également publié La Tribu, Allia, 13 euros.
* Paru dans « Rouge » n° 2159 du 18 mai 2006.
DANS LA GUEULE DU LOUP-
- Musique des Têtes raides sur le poème de Kateb Yacine Dans la gueule du loup paru le 25 juin 1962 dans le n°90 de la revue Jeune Afrique, repris à la fin du Polygone étoilé, p. 179-181, et dans Alger républicain en juin 1963.
Cet entretien a déjà été publié le 20/10/2005
Propos recueillis par Laura Laufer
Alain Tasma, ancien assistant de François Truffaut, d’Arthur Penn, de Barbet-Schroeder, a réalisé des films policiers, psychologiques ou des comédies.
Sa fiction « Nuit noire » évoque le massacre des Algériens, le 17 octobre 1961, dans un scénario qu’il a coécrit avec Patrick Rotman et François Olivier Rousseau.
Certes dans ce téléfilm, les personnages et leurs motivations n’échappent pas totalement aux clichés argumentaires et à l’illustration. Mais vrai soin a été mis dans les décors et l’interprétation, ainsi que dans le souci de restituer la vérité des faits pour l’événement dont il s’inspire.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire Nuit noire ?
Alain Tasma - Creuser dans une mémoire commune qui n’a absolument pas émergé. C’est exactement comme quand il y a un secret de famille qui pourrit, mais qui passe malgré tout dans les générations. À propos de la guerre d’Algérie, il y a toujours des secrets honteux qui ne sont toujours pas dévoilés. Le 17 octobre 1961, ça s’est passé à Paris. Alors on n’a tourné qu’à Paris et en région parisienne. Il n’y avait pratiquement pas un endroit où quelqu’un ne venait nous dire : « Mais savez-vous qu’ici quelqu’un a été tué ? » Donc les gens le savent, mais n’en parlent pas. C’était l’occasion pour moi, à travers une fiction, de parler de quelque chose dont on ne parle pas. J’avais déjà fait un film, il y a quelques années, sur le sang contaminé et ce qui m’intéresse, là aussi, c’est de montrer comment, avec le recul, on peut expliquer des événements qui apparaissent scandaleux. J’aime assez utiliser la télévision comme un poil à gratter, c’est-à-dire appuyer là où ça fait mal. Patrick Rotman, avec qui j’ai travaillé et qui connaît bien l’histoire de la guerre d’Algérie, a toujours essayé de sortir des sillons déjà creusés par d’autres dans son exploration de la guerre d’Algérie. Je ne suis pas un spécialiste de la guerre d’Algérie, et je ne sais pas où Patrick Rotman se situe par rapport à Benjamin Stora, mais je crois que sa parole sur le sujet a vraiment du poids, c’est pourquoi j’ai voulu travailler avec lui.
Dans votre film, il y a des policiers très racistes, mais aussi d’autres, qui sont beaucoup plus indécis. Quelle était votre intention ?
A. Tasma - Je tenais à montrer quelques personnages de flics syndicalistes qui n’étaient pas d’accord avec ce qui s’est passé, et qui ont bel et bien existé. Mai 1942, le Vel d’Hiv ; 17 octobre 1961 : ce sont les mêmes bus RATP qui ont servi - il n’y a pas un conducteur de bus qui a refusé de conduire - et ce sont les mêmes flics. Dix-neuf ans après 1942, la police républicaine peut agir de la même façon. Le personnage du flic qui ne sait pas, qui est plus indéterminé que les gens de l’OAS ou les escadrons de la mort, et qui finit pourtant par tirer, me paraît très dangereux. Mais les chefs sont responsables du comportement de leurs hommes. Quand Sarkozy est au ministère de l’Intérieur et ne dit pas à ses hommes « Faites gaffe à ce que vous faites », c’est dangereux. La police a besoin d’être tenue d’une main de fer.
Les harkis, que le gouvernement actuel vient d’honorer, se retrouvaient dans des groupes de police auxiliaires, dans les commissariats, et ont été très actifs dans le massacre. Pourtant, vous ne vous attachez pas trop à leur rôle. Pourquoi ?
A. Tasma - On les voit juste au début... Il est vrai qu’au pont de Neuilly, ce sont les harkis qui étaient en avant. C’est un choix que j’ai fait de simplifier la fiction pour, justement, ne pas permettre à la police parisienne de se retrancher derrière eux.
Vous n’êtes pas tendre avec le Front de libération nationale (FLN), notamment lorsque vous montrez la collecte des cotisations. Cet « impôt de guerre » n’était-il pas vital pour financer la lutte de libération nationale ?
A. Tasma - Ce ne sont pas des enfants de chœur face aux flics. Le FLN exerçait une pression terrible. Et cet impôt de guerre, comme vous l’appelez, se justifie, mais il a été collecté dans une extrême violence. Le film sur le combat entre le FLN et le Mouvement national algérien (MNA), qui a fait des centaines de morts, n’a jamais été fait*. Ce sont les Algériens qui pourraient le faire. Pour expliquer ce qu’a fait la police française, il nous semblait important de montrer qu’en face d’eux, les flics avaient de vrais guerriers.
Papon n’est - il pas le principal responsable du massacre avec la caution de sa hiérarchie politique et, par-delà, tout le gouvernement ?
A. Tasma - Depuis le début de l’année 1961, il y a eu 21 flics tués à Paris : la guerre qui était en Algérie vient en France. Il y a dans la police un climat de peur, de haine et de racisme. Papon est obligé de lui donner des gages, sinon les flics deviennent incontrôlables. C’est pourquoi il dit : « Pour un coup reçu, vous en rendrez dix », ou « Quelle que soit votre attitude, vous serez couvert. » Il ne leur dit pas d’ouvrir le feu, mais « si vous ouvrez le feu vous serez couvert ». Il a réglé le problème des Juifs à Bordeaux de la même façon qu’il a réglé le problème des Algériens à Paris. La parole de Papon suffit à lâcher les chiens. Qu’il ait été poursuivi pour crime contre l’humanité est justifié. C’est un haut fonctionnaire, brillant technicien, d’une froideur totale. Il a des cases à gérer et il les gère très bien. N’oublions pas qu’en 1961, les négociations d’Évian commencent et que l’État français veut être en position de force pour négocier. Il est inconcevable que le drapeau algérien puisse alors circuler librement dans les rues de Paris. Quand des Algériens sont dans une manifestation pacifique, le 17 octobre, au pont Saint-Michel, ils sont à cent mètres de la préfecture. Le symbole est inacceptable aussi bien pour le général de Gaulle que pour le ministre de l’Intérieur, Roger Frey.
Reste encore à faire le procès de Papon et celui de l’État français, qui n’a toujours pas reconnu ce crime...
A. Tasma - Seule la Mairie de Paris, avec Bertrand Delanoë*, l’a reconnu. Papon a fait un procès en diffamation à Jean-Luc Einaudi pour son livre et Papon a perdu. Le juge a reconnu que Jean-Luc Einaudi avait apporté suffisamment de preuves qu’un massacre avait eu lieu.
*Notes :
1*-Ceci n’est pas exact. Ainsi Les sacrifiés d’Okacha Touita raconte l’arrivée de Mahmoud en France et son installation dans le bidonville de Nanterre. Contacté par les membres du F.L.N. : on lui demande de choisir son camp. Sous la pression, il suit le F.L.N. et commence à mener des actions de lutte contre le M.N.A. Le film évoque la lutte armée que les deux clans se livraient avant la victoire du F.L.N.. Les militants sont finalement arrêtés aux cours des nombreuses rafles de police et emprisonnés. Mahmoud, à force d’interrogatoires et de mauvais traitements, sombre dans la folie. Les "sacrifiés" apprennent la proclamation du cessez-le-feu le 19 mars 1962, alors qu’ils sont toujours en prison, abandonnés de tous.
2* Quarante ans après le 17 octobre 1961, le maire de Paris, Bertrand Delanoë a inauguré une plaque en mémoire des Algériens tués sur la rambarde du pont Saint-Michel, au croisement du quai du Marché-Neuf, côté Seine. Toute la gauche était présente à cette inauguration mais la droite (RPR, UDF et DL avait brillé par son absence) déplorant la "sélectivité" du "devoir de mémoire".