Laura Laufer est l'auteur du livre Jacques Tati ou le temps des loisirs, publié aux Editions de l'If.

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De quelques films de Luis Buñuel

Viridiana, L’âge d’or, Los Olvidados, Films mexicains, L’ange exterminateur et quelques autres








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Etant donnée la rétrospective Luis Buñuel à la Cinémathèque française jusqu’au 1er novembre
https://www.cinematheque.fr/cycle/luis-bunuel-2020-576.html
je remets en ligne sur cette page quelques uns de mes textes sur son cinéma : Viridiana, L’âge d’or, Los Olvidados , films mexicains...

Article de mars 2013 sur Viridiana de Luis Buñuel pour ma présentation du film dans le cadre de ma programmation d’un film du patrimoine, chaque mois, au Rex de Chatenay -Malabry
cinema.lerex.free.fr/->Cinéma Le Rex
cinema.lerex.free.fr/] 364 Avenue de la Division Leclerc 92290 Châtenay-Malabry, France +33 1 40 83 19 73

Viridiana de Luis Buñuel, avec Silvia Pinal, Francisco Rabal, Fernando Rey. Espagne. 1h30. Viridiana voulant entrer au couvent vient saluer son oncle pour lui dire
adieu. Celui-ci découvre en elle le sosie de son épouse, morte vingt ans auparavant, le soir de leurs noces.

Viridiana ou comment se dessillent les yeux

par Laura Laufer

Interdit par l’Espagne de Franco, ce film fut aussi banni par le Vatican et dénoncé dans un texte de son organe officiel, l’Osservatore Romano du 21 mai 1961. (voir ci - dessous). Si le film Viridiana provoqua le scandale, ne voir en lui que scandale et blasphème est une méprise.
Ce n’est pas tant la religion que Buñuel fustige, mais le comportement de Viridiana qui ne voulant pas ouvrir les yeux sur le monde, se trompe sur toute chose. Le regard fuyant, elle ne fait jamais face et agit avec aberration, acceptant sans discernement l’absolutisme qu’on peut trouver dans l’esprit religieux et confondant le rite et l’ordre moral avec la foi.

Viridiana croit agir avec sainteté et ne provoque que des catastrophes. Elle échoue à aider les pauvres parce qu’elle ne s‘en prend pas aux causes du mal, car, si les pauvres sont mauvais, c’est justement parce qu’ils sont pauvres. L’efficacité redoutable de Buñuel repose sur sa sobriété, sa rigueur, sa lucidité et sa précision. C’est en entomologiste qu’il observe : Viridiana se ment d’abord à elle-même, prenant sa piété pour de la foi, sa charité pour de l’altruisme, sa chasteté pour de la vertu. Et c’est en vraie défroquée qu’elle troquera les alléluias pour le rock and roll, Shake your cares away (Chassez vos soucis) dit la chanson. Viridiana ouvrant les yeux peut enfin s’ouvrir elle-même.

Pour le personnage de Viridiana, Buñuel s’est inspiré de celui de Verdiana, canonisée par le Pape Clement VII en 1533. Voici ce que j’ai trouvé sur cette sainte dans les multiples sites catholiques de la toile qui en parlent et se répètent, tous, à quelques nuances près : "Sainte Verdiana, on écrit aussi son nom Veridiana ou Viridiana (1182 –1242).
Née à Castelfiorentino (Toscane), elle est pendant quelques années gouvernante dans une famille riche, mais bien vite elle entend l’appel à la solitude et se retire dans une petite cellule contiguë à l’oratoire de Saint Antoine Abbé où elle vit pendant trente-quatre ans. Elle meurt en 1242.

Après un pèlerinage au sanctuaire de Saint Jacques de Compostelle, en Espagne, à l’âge de trente ans, elle choisit de vivre dans l’isolement total du monde. De sa cellule, elle communique avec le monde extérieur par une petite fenêtre et se nourrit de pain et d’eau. Tout ce qu’elle reçoit de la charité de ses concitoyens, elle le distribue aux pauvres. Parmi ses visiteurs, en 1221, on compte St. François d’Assise lui-même. La présence désagréable d’insectes et de reptiles accroît l’inconfort de l’ermitage. A sa mort, elle est enterrée dans sa cellule même, transformée en chapelle, et ensuite placée dans l’église érigée en son honneur. Elle est vénérée comme protectrice de la Toscane. ".

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Dans cette peinture, Verdiana porte sa couronne d’épines, sa croix, sa corde et on voit au sol des outils dont une tenaille et un marteau.
Dans le film Viridiana, Buñuel pervertit ou recycle les symboles religieux, reliques de la souffrance du Christ, en symboles érotiques ou sexuels : on verra Viridiana avec une couronne d’épines, une croix, un marteau et des clous. La corde y devient la corde à sauter d’une petite fille ou un outil de pendaison et ses extrémités nous sont montrés comme symboles phalliques.
Buñuel ajoutera un autre ustensile : le "couteau-crucifix". Il avait trouvé cet objet dans une boutique d’ Albacete : "Je me souviens qu’une religieuse de Saragosse portait accroché à son chapelet un petit couteau-crucifix comme ceux-là pour éplucher des pommes. Un Christ fonctionnel et très pratique... "dira en riant Buñuel.
Loin de trouver l’objet fonctionnel, le Vatican et l’Etat franquiste le jugèrent blasphématoire et cela entraîna l’interdiction de ce type de couteau en Espagne.

Viridiana reçoit en 1961, ex-aequo, la Palme d’or à Cannes avec le film d’Henri Colpi Une si longue absence.

Le Vatican défendra que seul le film de Colpi la méritait, accusant" le film de Banuel "(sic !) de posséder dans la séquence de l’orgie une "représentation basphématoire" et considérant qu’il "est injuste et absurde de lui attribuer la Palme d’or ex- aequo parce que le film porte atteinte de manière provocante aux valeurs de l’esprit, et son esthétique excessive (...) représente une série inqualifiable de blasphèmes et d’ éléments érotiques ainsi qu’une problématique athée incontestable".
Organe officiel du Vatican : L’Osservatore Romano du 21 mai 1961 (extrait).

Du rock and roll
Si le film Viridiana s’ouvre sur L’Alléluia du Messie de Haendel, il se clôt sur le rock and roll Shake your care away aux paroles très suggestives :
I love her and she loves me We’re gonna shake ‘til after three Shake, shake me doll, shake Shake, shake me doll, shake Shake, shake me doll, shake Shake your cares away Shake your cares away Shake your cares away : Viridiana est maintenant mûre pour jouer aux cartes avec son cousin et la bonne...
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Buñuel récidive trois ans plus tard, dans son magnifique et cinglant dernier film mexicain Simon du désert. Le cinéaste s’ inspire d’un personnage historique, Siméon le Stylite, qui vécut en ermite, au Ve siècle, perché en haut d’une colonne dans un désert de Syrie, pendant plus de quarante ans. Simon (Claudio Brook) jeûne, médite et prie.

Vade retrouvé satanas ! Devant Satan, déguisé en femme (Silvia Pinal), la tentation sera trop forte. Simon se retrouve en boîte de nuit à New York pour un final, comme dans Viridiana, très rock and roll ! C’est le groupe mexicain Los Sinners -un nom qui ne pouvait que plaire à Buñuel - qui joue dans le final du film, ce rock endiablé !

Du pied, obscur objet de désir dans Viridiana et dans le chef d’oeuvre El (Tourments)

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De la provocation et du blasphème
Les mendiants dans Viridiana se livrent à un banquet orgiaque où ils prennent les mêmes poses que les personnages de la Cène de Léonard de Vinci.
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Gueux, mendiants, infirmes.
Les films de Buñuel sont riches de personnages de gueux , d’infirmes, de mendiants hérités de la grande tradition de la littérature et de la peinture espagnoles. Autant d’images grotesques mais qui nous viennent du réel comme cet idiot né de la pauvreté ou de l’inceste dans Las Hurdes

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De l’entomologie
La mise en scène de Viridiana possède cette qualité de précision et de rigueur, qui caractérise l’art de Buñuel, lié à un sens exceptionnel de l’observation. Le cinéaste a toujours montré un grand intérêt pour l’entomologie, une discipline qu’il avait étudiée dans sa jeunesse et qui exige un regard méticuleux et aiguisé. L’ouverture de L’âge d’or est à ce titre révélatrice :

"http://vimeo.com/39842620">Documental about Buñuel’s Viridiana from ruizdechavez on Vimeo.

Viridiana : vous trouverez une revue de presse complète parue en 1962 en fin de page

L’âge d’or ou LA MORSURE DU SCORPION

par Laura Laufer-

Un Chien andalou (1929), film muet, naquit d’une collaboration entre Salvador Dali et Luis Buñuel, qui l’écrivirent en six jours sur le mode « cadavre exquis », cher aux surréalistes. En revanche, L’Âge d’or (1930) ne doit pas grand-chose au peintre qui s’en désintéressa après trois jours de travail. Il ne subsiste de Dali que l’idée d’un gag (une pierre sur la tête d’une statue et sur la tête d’un homme), mais le cinéaste décida de laisser le nom de Dali au générique. Les deux hommes ne s’entendant plus sur rien, le divorce s’avéra inévitable et devint définitif, le franquisme venu. Tout, dans L’Âge d’or, de la conception rigoureuse à la réalisation, appartient à Buñuelpar l’idée de départ, le scénario, le montage et la bande-son.

L’Age d’or incarne, plus que Le Chien andalou, le premier film surréaliste reconnu et soutenu par les artistes du mouvement. Le DVD de L’Âge d’or propose un fac-similé de la déclaration collective signée par treize membres du groupe surréaliste, texte qui accompagne le film en 1930 et comprend six parties : « L’instinct sexuel et l’instinct de mort » (Breton) ; « C’est la mythologie qui change » (Crevel) ; « Le don de violence », « L’amour et le dépaysement » (Éluard), « Situation dans le temps » (Aragon), « Aspect social. Éléments subversifs » (Thirion). On y trouve des dessins de Tanguy, Ernst, Man Ray, Arp, Miro, Dali, qui exposent leurs toiles dans le hall du cinéma Studio 28. Tous insistent, à propos du film, sur le sens subversif de l’amour fou, anticatholique, antibourgeois. Dans la conclusion, Thirion écrit : « À l’époque de la prospérité, la valeur d’usage sociale de L’Âge d’or doit s’établir par la satisfaction du besoin de destruction des opprimés. »

Le film fut produit par le riche mécène aristocrate, admirateur d’Un Chien andalou, Charles de Noailles. Ce dernier ne connaissait pas les intentions de Bunuel et lui laissa toute liberté de faire le film à sa convenance. À la sortie de celui-ci, Charles de Noailles fut exclu des cercles de la haute société et menacé d’excommunication. Sa mère dut se rendre à Rome pour supplier le pape, afin que son fils reste catholique ! La classe dominante et l’Église avaient vu juste. L’Âge d’or, comme le scorpion qui ouvre le film, fait, selon une formule célèbre de Marcel Duchamp, « œuvre dard ». Bunuel y fustige de manière cinglante la bourgeoisie, la famille, la patrie, le Christ, la croix.

Les quatre âges
Dans le récit du film, les âges de l’histoire se succèdent. « L’âge du scorpion », en images documentaires. Ère primitive, où le scorpion va et vient puis, dans un combat, vainc un rat. « L’âge des bandits », vivant perchés sur des rochers arides, société sans ordre, ni loi. Simultanément, apparaissent les évêques avec l’arrivée des Majorquins, signes des débuts d’une nouvelle ère. Bandits et évêques se font la guerre. Les évêques morts, la Rome impériale, futur siège de l’Église, a jeté les fondations de l’« Ère chrétienne ». Enfin, voici l’époque contemporaine, « L’âge du capitalisme ». Sur l’île rocheuse qui abrite les restes des évêques, un groupe de notables formé d’huissiers, de gouverneurs, de militaires, de prêtres et de religieuses rend hommage à ces ancêtres de notre civilisation. La cérémonie est troublée par les cris de plaisir d’une femme qui s’ébat avec son amant dans la boue.

Censure
Chasse à l’Homme, on menotte l’amant qui, à terre, songe à la femme et la voit assise sur le siège des cabinets. On entend le bruit net de la chasse d’eau, suivi d’images de boue. L’amant, emmené dans les rues de la ville, une fois ses liens défaits, agresse un aveugle. Ses souvenirs l’assaillent. Dans une riche villa de la haute bourgeoisie, nos deux amants ne parviennent pas à s’unir, car les invités font obstacle. Excédé, l’homme gifle la mère de la jeune femme et est expulsé manu militari. La femme pense à l’homme. Ils se retrouvent dans le jardin. Mais l’étreinte est gênée par le froid, l’inconfort du banc, et interrompue par un appel téléphonique professionnel. L’homme reçoit du ministre l’ordre de partir en mission humanitaire. Frustrée, la femme trahit son amant, suce le pied d’une statue, puis embrasse longuement un vieux chef d’orchestre. Épilogue : nous sommes au château du duc de Blangy, héros des 120 Journées de Sodome, de Sade. Au lendemain d’une nuit d’orgie, le duc sort du château. Il n’est nul autre que le Christ. Le dernier plan montre la croix flanquée de chevelures de femmes.

Au-delà de l’aspect blasphématoire, antibourgeois, anticaritatif et antipatriotique, l’écriture du film est neuve. Buñuel est un authentique créateur de formes. Par le traitement de l’espace et du temps, il ouvre à une forme de récit marqué par l’ellipse et l’esprit de synthèse. Le film passe avec maestria de la forme objective et réaliste à celle, subjective, qui montre les pensées et les songes des personnages. Buñuel dissocie image et sons, et il use magistralement des musiques. Il ouvre ainsi à un fabuleux imaginaire poétique, par ce film des débuts du cinéma parlant.

L’Âge d’or – avec Zéro de conduite, de Jean Vigo – demeure, dans l’histoire du cinéma, un cas exemplaire de censure. Le film sort le 28 novembre 1930. Le 3 décembre, la Ligue des patriotes et la Ligue antijuive saccagent le cinéma Studio 28. Ils détruisent les livres exposés, lacèrent les toiles, envoient de l’encre sur l’écran et des bombes fumigènes dans la salle pour dénoncer « l’immoralité de ce spectacle bolchéviste », « anti-Français ». Le 11 décembre 1930, le préfet Chiappe fait saisir les copies et le film est interdit. Les surréalistes répondent par un tract, « L’affaire de “L’Âge d’or” », qui relate avec précision les événements, dénonce un « fascisme acéphale » et établit un questionnaire à renvoyer à Breton. Charles de Noailles cache le négatif original. Une copie tronquée circulera sous le titre Dans les eaux glacées du calcul égoïste, titre inspiré à Bunuel par une phrase de Marx. En 1981, la censure est levée : le temps vient toujours mettre un point final à la censure des créations de l’esprit qui ont quelque valeur. ■

L’Âge d’or, DVD, Édition du Centre Pompidou. Plus d’informations : lauralaufer.com" target="_blank">www.lauralaufer.com.
Laura Laufer
11/12/2008
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Que viva Buñuel !

Les scandales provoqués par L’Âge d’or (1930) et Las Hurdes (1931) firent de Luis Buñuel un cinéaste maudit. L’Âge d’or, interdit en France jusqu’en 1981, déchaîne la colère des fascistes. Las Hurdes, accusé de montrer une Espagne misérable, est interdit par le gouvernement républicain. Pourtant, Buñuel participe en France au film prorépublicain Madrid 36, puis il se rend aux États-Unis. La prise du pouvoir par Franco en fait un exilé politique.

Don Luis devient conseiller au service cinématographique du Musée d’art moderne de New York, puis il travaille pour un studio de propagande. Son activité de détournement des films nazis - il remonte ceux de Leni Riefenstahl - lui sera utile pour ses propres films. Sous le maccarthysme, Buñuel, indésirable, part au Mexique, pays dont il prend la nationalité. Il y tourne plus de vingt films.

Grâce au producteur Dancigers, il reprend la réalisation. De l’industrie du film mexicain, de ses contraintes (happy end, divertissement moral), il apprend la ruse et glisse peu à peu, dans ses films, sa griffe pointue. Dès Le Grand Noceur, son œil acéré se devine aux traits qu’offre la bourgeoisie. Cette comédie du travail réjouit jusqu’au gag final, où le vrai amour triomphe du faux, sur le point d’être béni par l’Église.

Le ciel à l’envers

Don Quintin l’amer, La Montée au ciel, On a volé un tram, Suzana la perverse montrent le talent du conteur. Fable ou farce, Buñuel aime le récit sobre, concis, où il plante superbement un décor, construit ses personnages, pousse à fond la logique comique ou féroce, force avec joie le trait : grotesque, le grand bourgeois côtoie le gueux, le nain ou le pied-bot qu’on croit sortis droit des toiles de Ribera, Murillo ou Goya.

La vie même lui inspire de l’insolite : bestiaire, objets hétéroclites. Des abattoirs de Mexico lui vient l’idée de « coller » de vieilles dévotes avec leur croix dans un tram, sous des têtes de veau et des pièces de boucherie. Los Olvidados, beau réquisitoire contre la misère, peint la vie de jeunes délinquants des bas-fonds de Mexico qui volent, puis tuent. Réaliste et onirique, le film interroge le sens de la vie, là où le cadavre d’un enfant finit jeté à la poubelle.

Pour Buñuel, l’absolu de l’esprit religieux, l’impact des rites sacrificiels, l’ordre moral créent solitude érotique (onanisme, fétichisme) et tendances criminelles (viol, assassinat). El, film préféré du cinéaste, glace d’effroi, malgré certains détails fort drôles. Les formes du désir surgies des chimères et des rites religieux y ouvrent à la démence. D’une précision clinique, la caméra décrit comment désir et Dieu se lient chez le héros, riche bourgeois, moraliste et bigot, pour fabriquer de la paranoïa. Ici, la tension rappelle Sade : même horreur, même étouffement. La femme subit un vrai calvaire, sous la coupe d’un mari qui la torture par le raffinement d’actes nés d’une jalousie démente. Les délires du mari se confondent avec son obsession de la propriété sous l’œil aveugle, sourd et stupide d’une Église qui vole au secours du machisme et du patriarcat, bénit le bourreau, condamne la victime.

Le masque du grand bourgeois cache agitation et fantasmes. Ainsi, Archibald de la Cruz, obsédé par l’idée de meurtre. Si l’horreur triomphait dans El, ici l’humour noir domine. Archibald se libère de ses obsessions nées dans un souvenir d’enfance et vécues dans ses rêves.

L’Ange exterminateur

Nazarin, prêtre, veut vivre en accord avec l’Évangile. Il secourt une prostituée blessée et meurtrière. Pour cela, l’Église le défroque. Il part prêcher l’amour divin sur les routes. Chacune de ses actions saintes entraîne une catastrophe. Joyeusement blasphématoire, la fin du film crée un parallèle entre le héros et la Passion du Christ, où Nazarin, enfin ébranlé dans sa foi, hésite à prononcer une formule chrétienne ! Pour Buñuel, la charité fait de Nazarin un parasite social et la religion est une escroquerie au regard du réel.

Pour ceux qui n’auraient pas compris, Don Luis enfonce le clou dans les films suivants.

De Nazarin à Simon du désert, la sainteté est vouée à l’échec et l’inanité de Dieu est certaine. Jubilatoire et cocasse, Simon du désert, le dernier film mexicain, montre Simon, moine solitaire, succomber à Satan (une femme) et quitter avec elle son désert pour le sabbat dans une boîte de nuit ! Le blasphème buñuélien n’insulte pas l’homme, mais il sape concrètement l’idée chimérique de l’existence de Dieu, en un art tonique, ludique, féroce, drôle et réjouissant. Par l’antiphrase et l’altération, il retourne le sens de l’image comme un gant dans ses films érotico-religieux, pourfendant aussi la famille, comme dans Suzana la perverse.

Curieux et flamboyant, Robinson Crusoé, poème concret et matérialiste, adaptation concentrée du roman de Defoe, montre avant tout le néant de Dieu devant la solitude de l’homme et ses questions sur le sens de la vie. D’éducation jésuitique, Buñuel en critique les valeurs et acquiert l’idée que seules les limites du rationnel dessinent notre monde. « L’énigme figure dans la vie même », dit-il : ainsi, les événements étranges qui adviennent dans L’Ange exterminateur sapent une société sans avenir qui se délite.

Buñuel déclare vouloir « bouleverser l’optimisme du monde bourgeois et forcer le spectateur à douter de la pérennité de l’ordre existant. [...] Bien manié par un esprit libre, le cinéma est une arme magnifique et dangereuse, pour exprimer le monde des rêves, des émotions, de l’instinct ».
Réalisés au sein même d’une production de commande, les films mexicains de Don Luis se manifestent comme la déflagration violente de bombes superbes..

Laura Laufer

• En salles : Nazarin, Don Quintin l’amer, La Montée au ciel, On a volé un tram, Le Rio de la mort, Le Grand Noceur, Colifilms diffusion.

En DVD : El, La vie criminelle d’Archibald de La Cruz, Suzana la perverse, Films sans frontières ; La Jeune Fille, Gran Casino, Studio Canal.

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- Los Olvidados de Luis Buñuel

1950 : le producteur Oscar Dancigers commande à Buñuel une histoire sur les enfants pauvres de Mexico. Le cinéaste entreprend alors une enquête rigoureuse. Durant six mois, il se rend dans les quartiers pauvres, se lie d’amitié avec les gens, dépouille presse et archives criminelles de la police sur la délinquance des jeunes déshérités, rencontre psychiatres et pédagogues. Ce travail rigoureusement documenté lui permet d’élaborer le scénario et il tourne ce film de petit budget en trois semaines et le monte en trois jours.

Don Luis sait que son film ne ressemble en rien aux drames urbains et films sociaux mexicains de l’époque où discours moralisateurs et images édifiantes sur les pauvres et les exploités dominent. La misère n’est pas belle.

Pressentant le rejet possible du film, Buñuel décide d’ajouter aux premières images ce commentaire en voix off : « Les grandes villes modernes cachent derrière leurs imposants édifices des foyers de misère abritant des enfants mal nourris, sans hygiène, sans école, pépinières de futurs délinquants. La société essaie de guérir cette plaie sociale, mais le résultat de ses efforts est très limité. Ce n’est que dans un proche avenir que les droits de l’enfant et de l’adolescent pourront être revendiqués pour que ceux-ci soient utiles à la société. Mexico, grande ville moderne, ne fait pas exception à cette règle universelle. C’est pour cela que ce film s’inspire de faits réels. Il n’est pas optimiste et laisse la solution du problème aux forces progressistes de la société. »

Los Olvidados fait scandale au Mexique. Les intellectuels, les politiques le dénoncent, certains souhaitent voir Buñuel, devenu mexicain en 1949, expulsé pour insulte à la nation, mais l’écrivain Octavio Paz défend magnifiquement le film dans un texte distribué au Festival de Cannes où il sera primé.

Face au mot d’ordre de notre terrifiante société « fermer les yeux », celui de Buñuel est de les ouvrir. D’une exceptionnelle lucidité, son film témoigne dans un style où la caméra choisit une distance objective, interdit l’identification aux personnages mais ne s’oppose jamais à l’émotion. Son art refuse tout sentimentalisme, toute compassion et le titre « Pitié pour eux » donné par la distribution française est honteux. Buñuel le dénoncera. Seule sa volonté documentaire s’exprime dans un art inflexible, rigoureux, implacable qui tient de la déflagration : la vision de Los Olvidados provoque choc et bouleversement.

Buñuel y plante superbement le décor, construit ses personnages, pousse à fond la logique tragique dans la tradition espagnole la plus pure où les gueux, l’aveugle, l’homme tronc, en un mot La Misère hérite de l’esprit des toiles de Ribera, Murillo, Goya. Pourtant, l’humour ne manque pas à l’apparition insolite d’une poule qui semble se moquer de l’aveugle. Buñuel fut la seule véritable incarnation au cinéma du surréalisme. Ici, les séquences oniriques (rêve de Pedro, mort du Jaïboi) passent avec maestria de la forme objective et réaliste à celle, subjective, qui montre le songe ou la vision. Elles ouvrent à l’imaginaire poétique par la dissociation de l’image et du son, l’usage magistral du ralenti et de la musique, la présence du bestiaire cher à Buñuel.

Par l’enchaînement inéluctable des faits dans un récit sobre et concis, Los Olvidados est une tragédie des plus pure : aucune inflexion mélodramatique, ni optimisme, ni pessimisme, ni bien, ni mal, non plus. Buñuel voyait dans le cinéma « une arme magnifique et dangereuse » et, seule, le guide ici la volonté d’ouvrir à la conscience.

Los Olvidados, film superbe, inspiré par la révolte contre l’injustice, obéit à l’injonction surréaliste de « L’Art pour changer la vie ».

Laura Laufer

©Laura Laufer 16/03/2006

L’Ange exterminateur de Luis Buñuel

Texte écrit pour le programme Mémoire de cinéma 2919 au-Rex.

Pour Luis Buñuel, le surréel n’est pas dans la science fiction ou le fantastique, mais dans le prolongement de la vie réelle que le surréel, selon lui « complète et élargit ». Le cinéaste poursuit la voie qu’il a ouverte dès L’âge d’or d’un cinéma où l’irruption de l’irrationnel déchaine les passions et dérègle les rituels sociaux. Soit, une soirée mondaine où une vingtaine d’invités de la haute société se retrouvent dans un vaste hôtel particulier de Mexico. À l’exception du maître d’hôtel, les domestiques éprouvent le besoin irrépressible de quitter les lieux, alors que Buñuel, fidèle aux bestiaires qu’on retrouve dans ses films, fait entrer, symboles de l’absurde, ours et moutons dans la demeure. Ajoutez qu’après le repas, les invités comme victimes d’un sort sont incapables de quitter les lieux, voilà une situation étrange, une pure parabole surréaliste à laquelle Buñuel donne vie. Il règle avec la minutie de l’entomologiste les actes, gestes et paroles absurdes et incongrus de ses personnages, en les rendant très concrets et organise de même le chaos qui s’installe. La construction du film s’apparente avec rigueur à celle d’une tragédie classique, mais par sa forme neuve et libre, Buñuel est ici créateur d’une modernité cinématographique qui a marqué le 7ème Art. Drôlerie et férocité ne manquent pas à ce jeu de massacre auquel se livre cette haute société faisant tomber avec sauvagerie les masques du vernis civilisé. Tandis que le peuple reste à la grille sans jamais pouvoir y pénétrer, cette demeure close contient symboliquement toute une classe sociale sclérosée et impuissante tandis qu’au dehors la vie continue et que des événements surviennent allant jusqu’à l’émeute et pouvant transformer le cours de l’Histoire.

Laura Laufer © 2019 Mémoire de cinéma./cac.lerex .

VIRIDIANA

La revue de presse de 1962

Arts
« Buñuel a monté son film comme on tresse une natte. Un documentaire agricole sur l’existence des hommes obligés au travail dans des conditions scandaleusement arriérées s’entrelace à la peinture de la vie secrète au château. Vie monstrueusement en marge que domine un double fétichisme, le fétichisme érotique de l’oncle, le fétichisme religieux de la nièce. On imagine avec quel soin Buñuel soigne le parallélisme entre ces deux perversités (…). Bouffon, baroque, grinçant à la mode espagnole, grotesque et cruel, Viridiana n’est peut-être pas le plus grand des films de Buñuel, mais c’est à coup sûr un film inoubliable. »
Jean-Louis Bory, 10/04/1962

L’Aurore
« Au point de vue de la réalisation, le film est composé avec plus que du talent. Les images horribles sont choisies, distillées, graduées, pour intensifier le malaise du spectateur. En contrepoint, il nous montrera le fils de l’oncle, un bon vivant qui se sort fort bien de tout ce drame. Dans le fond, M. Buñuel prône l’égoïsme, mais on ressent la gêne de celui qui, sans se l’avouer, est hanté par la crainte de Dieu. »
Claude Garson, 09/04/1962

Le Canard Enchaîné
« Ce film ne choquera donc que les calotins de toutes espèces et les esprits racornis, mais ceux qui aiment le beau cinéma sont priés de ne pas manquer d’aller voir une des plus belles œuvres de Luis Buñuel, poétique et brutale, d’un pessimisme affreux et d’une grande tendresse, d’un érotisme de grande classe et d’une puissance rare. »
[S.N.], 11/04/1962

Combat
« Là encore le film est passionnant, je ne parle pas du traitement cinématographique souvent admirable, mais de cette éloquence sacrilège et réaliste, hostile, redoutable, cynique, et pourtant étrangement incertaine, et comme désespérée, devant la solitude des êtres, et l’inutilité des gestes. Ce que Giono appelait la solitude de la pitié. Film sombre, brute, et que, moralement l’on accepte ou l’on refuse, mais qui cinématographique est un effrayant chef-d’œuvre. Le chef-d’œuvre du désespoir lucide. »
Pierre Marcabru, 07/04/1962

Démocratie 60
« Je vous avais dit alors toute mon admiration pour Viridiana, qui éclata comme une bombe, le dernier jour du festival et le sauva de la médiocrité dans laquelle il s’était enlisé. Alors que les jeux étaient faits, Viridiana remettait tout en question, d’où ce prix ex-æquo avec [Une si longue absence de Henri Colpi,] une œuvre estimable mais dont les mérites sont minces en comparaison (…). Viridiana est à la fois un chef-d’œuvre cinématographique et une œuvre libre, lucide, désespérée, d’un pessimisme absolu dans laquelle Buñuel se livre complètement. »
Gérald Devries, 01/04/1962

L’Ecole libératrice
« Viridiana restera sans nul doute l’œuvre la plus achevée et la plus dépouillée d’un des plus grand cinéastes de notre temps ; ne manquez surtout pas ce film, car il est le message d’un homme libre et d’un poète. »
Claude Cobast, 04/05/1962

Education nationale
« Que Buñuel ait conservé, passé la cinquantaine, ce merveilleux pouvoir de vision et de souffle poétiques, presque barbares à force d’être sauvages et sincères, et cette imagination sombre et éclatante, c’est la part admirable de son tempérament d’artiste. Qu’il ait conservé en même temps ces obsessions naïves de vieil adolescent en révolte, c’en était peut-être la rançon. Mais il est nécessaire de les distinguer, et l’on peut admirer l’un sans accepter les autres. Cela dit, Viridiana n’est pas un film que l’on puisse ignorer, certes. C’est une œuvre exceptionnelle et extraordinaire : souvent dans l’admirable, quelquefois dans l’odieux, et à l’occasion dans le ridicule. »
Etienne Fuzellier, 28/04/1962

L’Express
« Erotique, le terme semble faible pour qualifier le langage, toujours symbolique d’ailleurs, de Buñuel ; de sorte que, pris isolément, chaque plan peut recevoir la bénédiction du plus vétilleux pudibond, en même temps qu’à le voir le souffle parfois vous manque. Infortunés fripons de France et d’Amérique qui, pour tenter de dire cent fois moins, doivent mobiliser, toutes croupes ondulantes, bataillons de B.B., escadrons de Marilyn, bikinis et dentelles noires. C’est qu’il leur manque une dimension : le péché. Cracher à la face du cardinal Spellman ou du ministre de la Population, ce n’est pas cracher à la face du Christ. Et Buñuel crache, crache… »
Françoise Giroud, 03/04/1962

Le Figaro
« Le film ne mérite ni l’excès d’honneur ni l’indignité dont on a voulu soit le faire profiter, soit l’accabler. Dans l’ensemble, on ne saurait l’accuser d’hérésie ni de profanation préméditée, si l’on songe à ne pas se séparer du contexte les détails prêtant à discussion. Pour finir, je vous conseille d’aller voir Viridiana. Quel meilleur moyen d’en parler en connaissance de cause ? Et puis, c’est un récit curieux, complexe mais subtil, qui touche à beaucoup de questions, même s’il ne les résout pas avec une franchise tranchante. Et l’on ne peut nier en tout état de cause l’attachante personnalité de Buñuel. »
Louis Chauvet, 07/04/1962

Le Figaro littéraire
« [Une] oeuvre, si belles et si puissantes sont ses images, que seule la perfection m’en avait été jusqu’alors sensible. Ce qui est beau ne peut être nocif (…). N’ayant pas été scandalisés (n’ayant pas été dignes d’être scandalisés), nous ne pouvons point davantage être maintenant édifiés. Et pourtant il y a dans Viridiana une obsession bien différente de celles que nous décelions d’abord. La hantise de l’intégrité, de la vérité et, il faut oser l’écrire, de la pureté. »
Claude Mauriac, 21/04/1962

France Soir
« La virulence de cette satire d’une société espagnole encore actuelle, la façon dont tout cela est raconté et mis en place, la qualité de leur interprétation font de Viridiana un spectacle qui vaut d’être vu, même s’il risque de choquer ceux qui aimèrent Nazarin, ou de décevoir les admirateurs de L’Âge d’or. En fait d’or, il n’y a plus que du plaqué, mais c’est encore ce que l’on fait de mieux comme trompe-l’œil. »
Robert Chazal, 07/04/1962

L’Humanité
« Sur ce scénario, Buñuel a réussi à placer tous ses thèmes favoris : humour au vitriol (…), recherche de la pureté et de l’amour (…), le sadisme et la cruauté (…), l’érotisme d’une grande beauté, qui ne rejoint jamais le graveleux ou la pornographie ; la grandeur du travail créateur s’opposant à l’inutile prière. Mais si les intentions de Buñuel peuvent choquer ceux qui ont peur de lui, jamais son expression ne prête à scandale. Tout est pur, beau, même dans les scènes terribles ».
Samuel Lachize, 04/04/1962

Les Lettres françaises
« Il devenait difficile pour le pays qui avait (à juste titre) accordé sa plus haute récompense à Viridiana de la bannir pour toujours de ses écrans. Elle n’avait pas que des adversaires dans les cercles gouvernementaux français. Le film fut enfin autorisé en mars. Courez donc voir Viridiana. Et tout de suite. Ce film est peut-être le plus grand, le plus parfait qu’ait réalisé Buñuel depuis Un chien andalou. Il a autant d’importance que Guernica dans l’œuvre de Picasso. Il a dès maintenant la perfection des chefs-d’œuvre. Il s’inscrit pour toujours en lettres de feu et de sang, dans l’histoire du cinéma, cet aveuglant Mané Thecel Pharès. »
Georges Sadoul, 11/04/1962

Libération
« Film étrange, admirablement réalisé et buñuelien par excellence par ses sacrilèges visuels et sonores : couronne d’épines jetée au feu, couteau-crucifix, banquet de mendiants, cadré comme La Cène de Léonard de Vinci, Requiem de Mozart pendant la scène d’amour entre don Jaime et Viridiana inconsciente, Alleluia du Messie de Haendel pendant l’orgie (…). La formation mentale de Buñuel (jésuite et surréalisme) aboutit à un mélange détonnant qui rend ses films explosifs (…). Tant par sa forme éblouissante que par son contenu, tant par son originalité que par l’extraordinaire interprétation de Francisco Rabal (Jorge), de Silvia Pinal (Viridiana) et Fernando Rey (don Jaime), Viridiana est le film qu’il faut voir, avoir vu et revu. »
Jeander, 06/04/1962

La Liberté
« Cette cruauté se place sur le plan de la charité individuelle et n’entraîne que la révélation d’une solitude plus grande. Buñuel dénonce sur un plan plus général, social, l’illusion de la charité face à un monde qu’il faut changer. S’il ne change pas, la charité est inutile. La richesse de ses prolongements nous dit que ce film est un chef-d’œuvre, puisqu’il est inépuisable. Empreint dans son ambiguïté d’un baroque funèbre, et d’une grande austérité, il demeurera en nous longtemps. C’est le signe des œuvres essentielles et rares. »
Michelle Delcombre, 01/05/1962

Le Monde
« C’est elle seule [la beauté de l’œuvre] que nous voulons retenir. Viridiana est avant tout un poème cinématographique, un sombre poème, cruel et merveilleux, où la pureté, l’érotisme, la misère, la démence, s’entremêlent au cœur de chaque image. Comme souvent chez Buñuel le récit s’accompagne de quelques lenteurs que font vite oublier d’extraordinaires morceaux de cinéma. Le plus extraordinaire de tous est le déjà classique banquet des mendiants (…). Rarement – jamais peut-être – dans toute son œuvre Buñuel n’a été aussi loin et aussi haut. Et rarement fut-il aussi profondément espagnol. »
Jean de Baroncelli, 07/04/1962

Les Nouvelles littéraires
« Quant il est trop longtemps attendu, il est rare qu’un ouvrage qualifié de chef-d’œuvre ne déçoive pas. Tel n’est pas le cas pour Viridiana dont la richesse passe nos espérances. Pourtant les amis de Buñuel l’ont fâcheusement desservi en mettant l’accent sur ses outrances les plus apparentes, en insistant sur la lettre plutôt que sur l’esprit. Je ne voudrais pas tomber dans l’erreur de ceux qui considèrent le cinéma comme une auberge espagnole où ils trouvent ce qu’ils apportent ; mais ce film m’apparaît essentiellement comme un acte de foi dans la nature humaine ; je n’y vois nulle volonté de choquer, et ses violences se situent dans la ligne du thème hors série choisi par l’auteur. »
Georges Charensol, 11/04/1962

Paris-Presse
« Cette vision satirique d’un univers où la méchanceté et la laideur bafouent sans cesse une innocence bêtifiante, se double d’une vision poétique, et l’insolite affleure à chaque détour. C’est par là que Buñuel est un maître. Dans cette transfiguration du réel. Mais ce poète-là refuse les facilités et les artifices de ce qu’il est convenu d’appeler la poésie de cinéma. On cherchait en vain dans son film une seule image apprêtée. La facture en est volontairement nette, l’écriture dépouillée. Mais la poésie naît d’un simple geste, d’un rapport entre les objets, les personnages, d’une opposition entre les plans. Une poésie naturelle, drue, qui a de la vigueur, de l’ampleur et à laquelle peu de spectateurs resteront insensibles. »
[S.N.], 07/04/1962

Télérama
« Au-delà de ce scandale devant le christianisme, il en est un autre plus profond qui explique cet acharnement à tourner en dérision ou à dénoncer les bons sentiments : c’est le scandale du mal. Sans doute, Buñuel insiste-t-il sur le mépris de Jorge pour la bigote Viridiana, sans doute va-t-il jusqu’à tourner la Cène en dérision, mais ce mépris des chrétiens, ce blasphème adressé au christianisme trouvent leur source dans l’atroce vision de la nature humaine qu’illustre la séquence des mendiants. Qu’il s’adresse aux chrétiens pour les accuser ou a Dieu même. Viridiana est un cri de désespoir devant le spectacle du mal dans l’homme. »
Jean-Louis Tallenay, 22/04/1962