NOMBREUSES ARCHIVES AUDIO (1977) en bas de page.
« Violences faites aux femmes, discriminations, inégalités de salaires, métiers d’appoint, » double journée de travail. Je vous propose un regard rétrospectif sur le sujet des femmes travailleuses avec quelques extraits d’archives sonores inédites. En effet, je crois bien avoir été la seule, en 1977, à avoir enregistré les journées des travaux de la 6ème Conférence Femmes de la C.G.T.
J’y ai moi même participé comme déléguée des magasins populaires et élue de la Commission femmes CGT du commerce parisien car j’ai travaillé douze ans comme vendeuse, notamment au Prisunic des Champs- Elysées, dès 1971. Cette Conférence s’est tenue à Montreuil et inaugurait la Bourse du travail de Montreuil, une salle alors moderne, flambant neuf. Aujourd’hui cette salle, démolie, a disparu et la bourse du travail a déménagé dans le local trop exigu de l’ancienne Poste de la ville.
Malheureusement, je n’ai pas pu sauver tout ce que j’avais enregistré en 1976 et 1977, et deux cassettes, parmi celles que j’ai retrouvées, ont été, en partie, démagnétisées. Dans la deuxième partie de mon intervention lors de la Conférence femmes CGT, j’avais mis sur le tapis la question du droit de cuissage (aujourd’hui on dirait harcèlement sexuel) et le problème de la prostitution occasionnelle liée aux bas salaires, notamment dans le commerce. Cette partie de mon intervention semble perdue du fait de la démagnétisation de la bande, à moins que je puisse retrouver ma copie de ces enregistrements.
Dans la première partie de ces bandes, vous pouvez entendre une longue intervention de Christiane Gilles, alors secrétaire confédérale en charge du secrétariat femme.
A la fin de l’intervention de Christiane Gilles, vous entendrez Gérard Alezard appeler à une mobilisation dans les entreprises pour demander la dissolution de l’organisation des nervis fascistes de la C.F.T (Confédération Française du travail) qui venait d’assassiner Pierre Maître ouvrier des verreries mécaniques de Reims.
Certaines interventions témoignent des débats et clivages qui traversaient alors la CGT sur les questions féministes. La langue de bois sur le sujet était monnaie courante et l’intervention du camarade de l’UL du 2eme exprime assez bien ces crispations. Certaines intervenantes qu’on entend dans cette conférence participaient aussi à un groupe femmes de quartier, notamment les camarades du Ministère de l’Equipement, de l’Agriculture, des Chèques Postaux et moi même dans le groupe femmes du 18ème arrondissement de Paris.
J’ai également enregistré les débuts de notre grève au Prisunic Elysées. Il me semble me souvenir qu’elle a duré près d’un mois à dater d’avril 1976. La majeure partie des assemblées - souvent cacophoniques !- du personnel que j’avais enregistrées sont devenues inaudibles ou ont été démagnétisées.
Syndiqué/es et non syndiqué/es y ont participé.
Avec les camarades du Prisunic Parly 2 où la CFDT était majoritaire et en grève également depuis un mois, nous avons envahi le magasin du Printemps, maison mère des Prisunic et ses salarié-E-s nous ont accueilli-e-s chaleureusement.
J’ai retrouvé une photo de cette "invasion" dans le hall du Printemps où vous pouvez me voir : je suis au micro, en tête de la délégation.
Lorsque nous sommes parvenues à l’étage de la direction du Printemps, le bureau du Directeur a été envahi par un véritable raz- de- marée. Les filles, grimpées sur son bureau lui chantaient "La pêche aux moules avec les moulinets qui accompagnent cette chanson que le Petit rapporteur de Jacques Martin avait rendu célèbre.
Devant la force du mouvement, nous obtenions sur le champ que s’ouvrent des négociations dans les 48h, d’autant que d’autres magasins populaires ou hypermarchés entraient en lutte... Les Euromarchés étaient en grève, le personnel du Mammouth de Rennes luttait depuis longtemps et, dans le même mois, les salarié-e-s de près de 24 à 26 magasins populaires avaient débrayé !
Pour les Prisunic nous réclamions, entre autres, 1900 francs à l’embauche au lieu de 1396 francs, pas de polyvalence, défense des qualifications et amélioration de la convention collective, 5 semaines de vacances...
Les négociations obtinrent des augmentations de salaire qui allaient de 40 à 12O francs, si ma mémoire est bonne. En revanche aucune avancée contre la polyvalence et les déqualifications. Si l’érosion du personnel se stabilisa un court temps ce fut pour repartir de plus belle plusieurs mois plus tard : avec la généralisation des tours de débit, de nombreux rayons disparurent ainsi que la plupart des qualifications existantes alors. Aujourd’hui, la seule convention collective des magasins populaires qui subsiste est celle des Monoprix.
La division de la gauche en 1978, le poids d’une fraction rétrograde d’une partie de l’appareil du P.C.F s’ arc boutant sur les événements de Pologne, dénonçant la Charte 77 en Tchécoslovaquie ont provoqué une crise au sein de la direction de la CGT. Christiane Gilles démissionne du Bureau confédéral en 1981, la Commission femmes est dissoute, le journal féminin Antoinette remis en cause et Chantal Rogerat qui le dirigeait est licenciée. Le magazine ne disparaîtra qu’en 1989.
À l’époque où Antoinette paraissait encore sous la direction de Chantal Rogerat, j’ai assisté à quelques réunions en tant que conseillère de sa rédaction pour la Commission femmes du commerce.
Antoinette, avait le courage,au sein du syndicat, de rendre, accessibles aux femmes travailleuses, des sujets sortant du cadre de l’entreprise, tels que la double journée de travail, la maîtrise du corps sur la fécondité, le droit au plaisir, le sexisme...
Les luttes pour les droits des femmes et pour le droit à l’avortement et à la contraception, notamment avec le M.L.A.C (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception) se sont développées dans les années qui ont suivi mai 1968 et ont en partie, porté des fruits quelques années plus tard, avec l’adoption de la Loi Weil.
Je militais dans le groupe femmes du 18ème arrondissement de Paris.
J’étais, pour ma part, favorable à ce que, parallèlement aux groupes femmes, nous construisions aussi des groupes mixtes pour réfléchir et agir sur la misère sexuelle. C’est à ce titre aussi que je soutenais les amis du FHAR (Front Homosexuel d’Action révolutionnaire), victimes alors de la répression policière. Aujourd’hui, que le mariage pour tous est à l’ordre du jour, je mesure le temps qui a passé...
Une chose encore, et là nous retrouvons le cinéma. Le journal féminin de la CGT s’ appelait Antoinette en raison du succès mérité, au sortir de la guerre, du film de Jacques Becker Antoine et Antoinette. Le film avait en effet gagné le "Grand Prix du Festival International" de Cannes en 1947. Le monde ouvrier s’était reconnu dans ses personnages : Antoine, ouvrier typographe et Antoinette, comme moi, employée au Prisunic des Champs Elysées.
Le hasard est une chose curieuse.- Laura