Par Laura Laufer
Né en 1936, Jean-Daniel Pollet laisse derrière lui une œuvre magnifique, drôle ou poignante. Les mots d’art poétique s’imposent avant tout pour caractériser cette œuvre magique, peu connue du grand public, à l’exception probable de L’acrobate.
Vous pourrez la découvrirez ,dès ce 12 août, avec une rétrospective à la Cinémathèque française qui dure jusqu’au 30 août ; Elle sera suivie d’une sortie nationale en septembre, de 22 films de Pollet en versions restaurées.
Pollet a débuté durant son service militaire au Service Cinématographique des Armées, en empruntant du matériel pour ses permissions. Il tourne ainsi son premier court métrage, Pourvu qu’on ait l’ivresse 1957 , en observant une salle de bal fréquentée par une clientèle noire et arabe. C’est là qu’il rencontre un jeune juif algérien auquel il propose de jouer : Claude Melki qui devient son acteur fétiche pour six de ses films.
Jean-Daniel Pollet ne voulait pas que l’on revoie son premier long métrage La ligne de mire , que peu de gens avaient vu et qu’il considérait comme un échec. Pourtant ’il s’agit d’un film dont Jean–Luc Godard avait immédiatement perçu qu’il inventait une forme cinématographique totalement nouvelle et libre. Un film où l’on voyait une série d’images revenantes comme distribuées par le hasard, en maître du temps. La construction de ce film que le cinéaste a monté et remonté appartenait déjà à une conception où le cinéaste ouvrait un nouvel imaginaire au spectateur. Un film stimulant qui exigeait un spectateur actif.
Le cinéma de Jean -Daniel Pollet compte au moins deux grandes voies : un cinéma scénarisé, où la fiction semi-documentaire montre des phénomènes sociaux tels la danse de salon, le bal populaire, la solitude dans des films riches de nostalgie mais aussi de burlesque Pourvu qu’on ait l’ivresse, L’amour c’est gai, l’amour c’est triste, Rue Saint-Denis épisode de Paris vu par…, Gala, L’acrobate.
Rue Saint Denis est dans le "Paris vu par", film collectif tourné pour les autres sketchs par Claude Chabrol, Jean Rouch,Eric Rohmer, Jean Douchet, Jean-Luc Godard, de la nouvelle vague, mon préféré ! Et si vous aimez lez calembours ne le manquez pas ! Vous y apprendrez la différence entre Bécon-Les Bruyères et Florence ! Ce court bijou burlesque avec Micheline Dax dans le rôle de la pute et de Claude Melki dans le rôle du client qui n’ a pas l’air de savoir y faire avec les dames, est en vérité un grand ’petit" film sur la misère sexuelle et l’aliénation..
À ces films, il faut ajouter sa réalisation d’émissions de variétés Dim dam Dom pour la télévision dans les années 1960. D’ailleurs, il fera jouer dans ses longs métrages Françoise Hardy avec Samy Frey dans Une balle au coeur, ou Chantal Goya avec Bernadette Lafont, Claude Melki et Jean-Pierre Marielle dans L’amour c’est gai, l’amour c’est triste et Guy Marchand dans L’Acrobate avec Claude Melki , Edith Scob, Micheine Dax.
Claude Melki, merveilleux acteur, sorte étrange de Buster Keaton, y joue Léon, tour à tour tailleur ou garçon travaillant dans un établissement de bains douches. Claude Melki tranchait dans le cinéma français qui n’avait pas l’habitude de voir un acteur d’origine algérienne avoir le premier rôle ! Son physique n’avait rien du jeune premier séducteur et son visage exprimait toujours une angoisse lunaire. Pollet montrera, sous un jour tendre et burlesque, à travers ce personnage timide et maladroit essayant de séduire les femmes la solitude, l’exclusion que nous retrouverons, entre autres thèmes de la deuxième grande voie de son cinéma dans un film comme L’ordre.
Cette deuxième voie est celle d’un cinéma-essai de haute valeur poétique et ouvrant sur la philosophie. Ses grands thèmes seront les forces de destruction à l’œuvre et la mort. Ainsi le Temps, ce maître sur toutes choses et hommes, détruit inexorablement comme le font les guerres , celle d’Irak - terrifiante invention américaine - qu’évoque Pollet dans ses derniers films, la lèpre, ou le colonialisme occidental (Afrique film perdu de Pollet).
— Pollet tournera avec Jean Pierre Kalfon un film très curieux de science fiction Le Maitre du temps-
Méditerranée (1963) opère une rupture dans l’histoire du cinéma. Ni documentaire, ni fiction narrative, ce film essai ne constitue pas non plus un commentaire comme on le voit chez Marker. La rupture opérée par Pollet vient du refus systématique, radical de toutes formes de montage préexistant.
Ses films à risque (Mediterranée, Dieu sait quoi, l’Ordre, Bassae… ), sont sans repère prédéterminé, sans balise, sans scénario, sans acteur. Pollet explore un nouveau territoire totalement inconnu de nous et qui se construit devant nous : Méditerranée n’est ni un film touristique, pas plus qu’un documentaire sur les rivages de cette mer : la pyramide égyptienne ou le temple grec y deviennent de nouveaux objets poétiques dont la poésie n’est pas extérieure au réel, de même que le réel n’y est pas une valeur extérieure ajoutée. C’est sa conception même du monde et du cinéma qui fait de ces films un art poétique.
Ainsi Méditerranée, Pour mémoire, Dieu sait quoi, Trois jours en Grèce...
Ces films ne procèdent pas d’un montage narratif où une histoire se déclinerait par chapitre. Le cinéaste y invente un montage où chaque segment du film constitue une construction autonome articulée à l’ensemble, selon des associations créant une suspension mystérieuse, fascinante et poétique du temps. Images sérielles, qui se chargent d’une nouvelle valeur poétique à chacun de leur retour à l’intérieur du film. Ce montage fonctionne, non pas de manière additionnelle mais cumulative par multiplication : imaginez comment un jeu de cartes dont les éléments redistribués à chaque fois que les cartes ont été rebattues, crée de nouvelles figures de jeu : c’est ainsi que la poésie des films de Pollet se démultiplie avec une puissance pouvant être ainsi déployée à l’infini.
Pollet décrit lu-même sa démarche ainsi « Méditerranée n’est pas la concrétisation d’un projet. Il s’agit d’une suite d’images enregistrées au cours d’un itinéraire méditerranéen avec la seule préoccupation que chaque image ne montre, ne signifie qu’une seule chose, qu’une seule idée de façon à pouvoir être utilisée comme un mot qui ne prend sa signification définitive qu’en fonction de la place qu’on lui donne dans une phrase. Chaque image de ce film fait donc partie d’un vocabulaire, le tournage n’ayant eu pour but que de rassembler les mages mots de ce vocabulaire, le montage devant aboutir à fabriquer des séquences phrases. Ceci explique la raison pour laquelle le même plan est utilisé plusieurs fois dans des séquences pourtant très différentes, de même qu’un mot peu être plusieurs fois dans la même page de là à donner l’impression de répétitions. Par ailleurs ces images mots n’ont pas été associées suivant une logique consciente qui répond le plus souvent à une censure et conduit à une simplification abusive où les images et les mots sont privés de multiplicité et d’autonomie, rangées dans des catégories par le jeu de mécanismes rassurants. Méditerranée est un film libre dans le sens où il essaie de montrer que l’on peut faire éclater les distinctions arbitraires entre réel et imaginaire, passé, présent, futur, sans entrer dans un espace mental dévitalisé. Le jeu de l’analogie et des correspondances entre images très concrètes n’ayant pour but en s’inspirant de thèmes très simples dont le plus apparent est la mort de la culture que d’essayer de redonner aux choses, aux visages montrés leur pouvoir de révélation originelle et oubliée ».
L’impact de Méditerranée fera l’objet de plusieurs dossiers dans les Cahiers du cinéma. De même que des écrivains aimeront les premiers,son œuvre telle Marguerite Duras, ou y collaboreront dès 1963 ( Philippe Sollers, Jean Thibaudeau, Jean Ricardou…), Pollet tournera des films inspirés de matériau littéraire ou poétique cité largement : ainsi Le Horla d’après Maupassant avec Laurent Terzieff, mais surtout dans ses derniers films : Dieu sait quoi avec l’œuvre de Francis Ponge dite par Michael Lonsdale ou Trois jours en Grèce où il mêle Homère, Euripide à Ponge,, et où il tresse une véritable ode au poète grec et ami dont il vient d’apprendre avec douleur la disparition, Yánnis Rítsos.
Dans Méditerranée le montage sériel organise des images en nombre très limité (Temple d’Apollon à Bassæ, corrida, orange, Venise, pierres, eau, bal en Grèce, jeune fille en salle de chirurgie, jeune fille grecque souriant, pêcheur sur sa barque…) et leur attribue une place strictement égalitaire. L’orange, les pierres ou d’autres objets y apparaissent déjà, préfigurant ses futurs films de la rencontre fondamentale avec les poèmes de Francis Ponge (Dieu sait quoi). La répétition des images associées dans un nouvel ordre permet par cette seconde vue des choses banales un pouvoir de découverte, créant du jamais vu. Participe de cette réinvention constante des choses vues la réorganisation de la très belle composition musicale sur des thèmes variés d’Antoine Duhamel et un texte de Philippe Sollers écrit à partir des images. Cette redistribution des images et des sons compose une dramaturgie, dont l’intensité évolue et crée une infinie possibilité de sens et d’émotions par le rythme, la fréquence, le retour des images. Jean-Luc Godard citera, à titre d’hommage, de nombreuses images du film, dans Film socialisme.
Cette révolution du langage cinématographique qu’opère Pollet aura une grande influence sur le cinéma moderne particulièrement sur l’œuvre de Jean-Luc Godard , sur les très beaux films de Marguerite Duras tels Césarée ou India Song.
Pollet réalise une œuvre cruellement actuelle, L’Ordre. Film de commande des Laboratoires Sandoz pour promouvoir un médicament de la lèpre, Pollet retourna la commande comme un gant ! Loin de promouvoir le vaccin, le film montre le lien entre maladie, techniques médicale, exclusion sociale et mort. Sandoz ne distribua pas le film. Pollet filme les lépreux anciennement déportés sur l’île de Spinalonga, dès 1903, par les gouvernements crétois et grec. Ils étaient alors condamnés à vivre dans des grottes ou des cabanes de fortune, ils surent s’organisèrent collectivement, pour résister, par l’autogestion et céder des liens affectifs et sexuels. Quand leur déportation prit fin et qu’on entreprit de les soigner, les lépreux furent transférés dans un hôpital en ville. Malgré le vaccin ils furent de nouveau rejeté par les familles et les villages d’origine. ce retour en "civilisation" détruit les lien collectifs ,de vie affective , sexuelle et sociale qu’ils avaient pu créer en autogérant leur île.. Chacun désormais n’administre plus rien, et , isolé dans sa minuscule chambre, attend de mourir dans une extrême et inhumaine solitude.
Pollet déplace ici la force de destruction sur les technologies médicales, telles que conçues par notre l"civilisation" capitaliste. Dans ce monde occidental qu’est ce que la santé , la maladie, la normalité, la beauté, le difforme, la répulsion, l’horreur, la mort ? Le film de Pollet explore ainsi ces questions et nous y intègre. Le lépreux Raimondakis, en plan frontal nous interpelle, criant sa révolte.
Il faudrait ici parler aussi de Tu imagines Robinson, film on ne peut plus libre inspiré de Daniel Defoe ,ou bien de ce curieux film qu’est Le maitre du temps
Quant à une Une balle au coeur, ou Contretemps, je ne les ai jamais vus, d’où je n’en dirai rien. ici.
Plusieurs courts métrages de Pollet évoquent les flâneries ou les passages . Contre courant titre ironique enquête à partir de la Bièvre enfouie, lsur a pollution de d’eau dans une banlieue délabrée , La femme aux cents visages revisite ceux ci à travers l’histoire de la peinture de Botticelli à Modigliani
Tandis qu’au le Père Lachaise , Pollet arpente les belles tombe toutes singulières, pour nous entraîner dans un salut au Mur des fédérés… L’écriture libre de ces films ne sont pas sans faire songer à celle qui l’est tout autant d’un Walter Benjamin dans ses flâneries.
Le cinéaste parle à juste titre de « mort de la culture » à propos de Méditerranée ,tant il est vrai que la mort et la destruction sont des grands thèmes de plusieurs de ces films , qu’il s’agisse de la lèpre, du temps, de l’exlusion sociale ou de la mort attendue d’une forge dans le Perche où la valeur du travail de l’ouvrier est détruit (Pour mémoire).
Cette logique irrémédiable de filmer les forces de destruction , a conduit les pas de Pollet en Afrique. Via Jean Rouch, il a tourné un film sur l ’Afrique, guidé par l’ethnologue Robert Jaulin. Ce film, contre l’oppression coloniale, qui a fait l’ objet d’un long travail de scénarisation et de montage dans les années 1970, est aujourd’hui perdu.
À son propos, Pollet écrira « : « je pensais être un voyageur comme un autre et puis non. Au travers de quatre pays traversés Sénégal, Mali, Haute Volta (aujourd’hui Burkina Faso) et le Niger, j’ai d’abord été spectateur, chaque jour un peu plus sensible à ce que j’ose appeler le naufrage d’un continent un « ethnocide » généralisé, une bidonvilisation (…) et à la fin je suis revenu en France révolté par les ravages auxquels j’avais assistés ».
En 1968, Pollet a participé à filmer les événements et joué un rôle clef dans les États généraux du cinéma, nés du mouvement populaire de contestation.Il rédigera ,entre autres textes, celui qui sera choisi pour servir de base aux revendications exigées par la profession.
Les trois derniers films de Jean- Daniel-Pollet on été réalisés dans un contexte tragique et douloureux : le cinéaste, alors qu’il filmait le long d’une voie ferrée, en 1989, est happé par un train. Lourdement blessé et infirme, il sera assisté, ne pouvant plus bouger par une équipe réduite à trois ou quatre collaborateurs les plus fidèles : le compositeur et ami inséparable de son cinéma Antoine Duhamel, Françoise Geissler au montage, Michael Lonsdale et c’est Jean-Paul Fargier qui filmera Jour après jour totalement écrit, par le cinéaste, la veille de sa mort.
Jean-Daniel Pollet ce fut le cinéma durant toute sa vie : jusqu’à sa fin.