Laura Laufer est l'auteur du livre Jacques Tati ou le temps des loisirs, publié aux Editions de l'If.

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Hommage : entretiens avec Marcel Hanoun (1ere partie)





C’est peu de temps après la disparition d’un autre artiste - un des plus grands artistes du septième Art, Chris Marker -que disparaît à son tour Marcel Hanoun, âgé de 82 ans. Cette disparition m’attriste car j’ai eu l’occasion de connaître Marcel Hanoun à la fin des années 1980 et, par la suite, de lui rendre visite plus d’une fois dans son appartement de la rue des Ursulines.





Marcel Hanoun Une simple histoire (1957) 65min 01 et Bruit d’Amour et de Guerre (1997) 42’ .

On peut visiter sur internet la page atelier de Marcel Hanoun. Vous pourrez y lire quelques uns de ses textes et découvrir ses films car Marcel avait, lui-même, tenu à les mettre en libre accès, pour tous, sur internet. Voici le lien :http://www.atelier-de-marcel-hanoun.com

Marcel était toujours en recherche d’expérimentations de formes neuves, ce jusqu’à l’obsession et il aimait à s’entourer de nombreux jeunes pour les entraîner dans le sillage de son cinéma. La plupart de ses films sont en quelque sorte des "prototypes" , des expériences uniques. Il existe une galaxie Hanoun avec ses ramifications. Si les films de Joseph Morder ou de Gérard Courant s’y rattachent, Hanoun a aussi reçu l’admiration de Jean- Luc Godard ou de Jean Eustache. Le premier avait loué Une simple histoire dans la revue Arts. Pour le second, je me souviens qu’un matin, en présence de Patrick et Boris, ses deux fils, Jean nous avait montré où il en était de son travail sur ce formidable documentaire qu’est Le cochon alors en cours de montage, et dans les questions qu’il se posait à ce moment là, il évoqua le cinéma d’Hanoun, pour lui, référence incontournable.

Ce que j’aime dans son cinéma, c’est qu’il s’apparente par ses outils et ses moyens de production au travail de l’artisan, mais qu’au bout du processus de création, le geste a fabriqué un art souvent novateur et de forte densité poétique.

Parce qu’il me savait admiratrice de son cinéma, Marcel m’avait donné un de ses livres et plusieurs de ses films sur cassettes vidéo, dont ses quatre saisons Le printemps, L’été, L’automne, L’hiver, Une simple histoire, L’authentique procès de Carl Emmanuel Jung. Ceux -ci étaient alors introuvables.

Je suis heureuse d’avoir pu, grâce à cela, présenter certains de ses films en ciné - club ou à l’université comme Une simple histoire, film splendide et remarquable, ou, autre film important L’authentique procès de Carl Emmanuel Jung. J’ai aussi pu programmer ce dernier, il y a bientôt vingt ans, dans un festival au cinéma Grand Action où Jean- Max Causse m’avait donné carte blanche, puis au cinéma le Méliès, salle montreuilloise, alors dirigée par Geneviève Houssaye, où j’avais organisé une journée de projections avec débat sur la déportation. A cette occasion, j’avais fait venir Marcel pour L’authentique procès de Carl Emmanuel Jung. Les deux autres invités étaient Armand Gatti pour L’Enclos et Arnaud Des Palières pour Drancy avenir. Vous pourrez entendre un extrait de ce débat sur le site dans les prochaines semaines, après numérisation de la cassette audio.

Né juif tunisien de parents algériens, Marcel voyait dans le "hasard" de sa naissance sur un territoire éloigné de celui du yiddishand, comme une blessure coupable. Il mesurait qu’ il devait à cette seule circonstance de n’avoir pas connu le sort ou le danger d’être assassiné dans la Solution Finale. C’est un sujet dont j’ai eu l’occasion de parler à plusieurs reprises avec Marcel Hanoun.

Nul doute qu’il faut voir dans le film L’authentique procès de Carl Emmanuel Jung comme l’écho de cette déchirure - angoisse, mais le regard porté par Marcel sur la Solution finale ne se réduit pas au seul Juif. Il s’élargit à l’ universel et voit en l’Étranger la première victime de la mise en œuvre d’une telle politique d’ État.
Le personnage de Carl - Emmanuel Jung, à l’image de ce que furent d’innombrables nazis, est bon père de famille, bon mari, citoyen ordinaire et simple bureaucrate.
L’authentique procès de Carl Emmanuel Jung a été tourné en 1966, peu après la fin de la Guerre d’Algérie et a précédé de trente cinq ans le procès Papon. Si c’est en regard de ces contextes qu’il faut le voir, nul doute que Marcel Hanoun y exprime aussi sa révolte et son indignation contre le sort fait aux Étrangers dans notre pays, comme ailleurs, et y affirme que la barbarie n’est pas qu’un point d’histoire, mais bien une question d’actualité.
Marcel le soulignait aussi. Il suffit de songer à ces mesures d’exception qui permettent aujourd’hui le contrôle spécifique, la rétention, l’expulsion des étrangers pour savoir qu’il y a peu de temps encore des Étrangers ont été aux portes de l’Europe déportés, promis à une mort certaine dans le désert.
Enfin, je préfère, ici, lui laisser ici la parole : "Emparez-vous de toute forme de hors-champ, détournez la norme, mettez-vous à la marge, observez le monde, non d’en être au coeur, libres d’être corseté de ses préjugés, mais dans un survol au grand-angle, vous privant de zoomer. Emparez-vous de la liberté d’inventer pour inventer la liberté. Taillez une plume, greffez-lui l’oeil d’une caméra, une oreille qui ne soit qu’un orifice sans pavillon visible. Saisissez-vous de cette plume, écrivez, tracez en images sonores ce que vous pourriez vainement filmer en mots imagés, séducteurs et fallacieux. Faites, refaites le cinéma plutôt que "du cinéma". N’ayez de Maîtres de filmer que vous-mêmes, non de maîtres à filmer qui ne soient que maîtres de ballet et ne le soient que de vouloir vous apprendre à bien valser un film. Faites votre cinéma tout en marchant pas à pas, mâchonnant d’amers et tendres cailloux. Avancez, libres de toute discipline marchande."
Laura

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Entretien avec Marcel Hanoun.1/8©Laura Laufer
MP3 - 9.5 Mo
Entretien avec Marcel Hanoun. 2/8.©Laura Laufer