Vous pouvez entendre la deuxième partie de mon entretien en "roue libre" avec Jacques Rivette enregistré lors de la sortie de Secret Défense en 1997.Rivette y revient à quelques reprises sur Out 1 . J’avais déjà mise en ligne la première partie :
La fin de l’émission est en partie (donc pas entièrement) démagnétisée. Rivette y parlait de sa distance prise, dans les années 1990, avec les oeuvres de Mankiewicz ou de Minnelli tout en évoquant des cinéastes toujours de référence pour lui tels Sacha Guitry, Fritz Lang, Alfred Hitchcock ou Howard Hawks. Je n’ai pas encore retrouvé ma copie de sécurité de cette cassette. Je numériserai la cassette, en l’état, partiellement audible, si je ne retrouve pas la copie de sécurité.
Out one Noli me tangere.
Réédité aujourd’hui par Carlotta constitue pour moi l’événement cinématographique majeur de cette fin d’année. J’en avais vu plusieurs épisodes lors d’une intégrale Jacques Rivette, il y a plus de trente ans au Quartier latin, le film entier n’ayant été projeté qu’une seule fois à La Maison de la Culture du Havre.
La durée totale des épisodes dans sa version Out 1 Noli me tangere est de 775 minutes et la version courte exploitée en salles Out 1 Spectre durait 255 minutes.
Aujourd’hui vous pouvez voir Out 1 dans quelques rares salles de grandes villes.
Out 1 de Jacques Rivette avec Michel Lonsdale, Bulle Ogier, Juliet Berto, Bernadette Laffont, Jean Pierre Léaud ... (France 1970).
Le film sort en salle et en coffret de 7 DVD Collector avec un livre chez Carlotta.
La réédition d’ Out 1 est un événement majeur de l’année cinématographique de 2015. Monumental le film l’est, pas seulement par sa durée exceptionnelle. 775 minutes extraordinairement mobiles et rigoureusement tendues sur l’entrelacs de plusieurs récits soit 1) le travail du groupe de théâtre de Thomas (Michael Lonsdale) sur le Prométhée enchaîné d’Eschyle, 2) le travail du groupe de Lili (Michèle Moretti) sur Les sept contre Thèbes du même Eschyle, 3) L’enquête menée par Colin (Jean - Pierre Léaud), qui vit de la manche en jouant de l’harmonica, sur le groupe des Treize, une société secrète qui agirait encore de nos jours. L’errance de Frederique…Impossible ici de détailler la multitude d’actions et de personnages dans le récit et ses « sous-récits » qui en sont partie intégrante. La dispersion d’une narration aussi volontairement fragmentée pourraient opérer une dilution de l’intensité dramatique or il n’en est rien. Le mouvement du film est porté par l’extraordinaire cohérence de la vision d’ensemble du projet, idée et matérialisation. Tous ses éléments se resserrent, se densifient, s’épurent et l’univers d’ Out 1 semble ne pas pouvoir épuiser sa substance grâce à Rivette qui en conçoit l’architecture et le moteur.
Out 1 est un film extraordinairement organique, fascinant et magique. Jacques Rivette a hérité de Jean Renoir, dont il fut assistant, l’amour des comédiens dans leur capacité à faire jaillir la vie. C’est sur quoi se fondent tous ses films. Out 1 est entièrement improvisé, sans scénario mais sa charpente solide s’ancre sur l’extraordinaire travail de broderies qu’impulsent les comédiens. Tout ici est une mise en jeu(x), et comme dans tout jeu la mise en danger est l’enjeu des risques pris. Le canevas de ce film en train de se faire s’inspire vaguement de l’idée de complot qu’on trouvait dans L’histoire des Treize de Balzac, mais le complot qui menace les personnages est celui que leur fait courir l’Histoire contemporaine. Et c’est l’ Envers* de l’Histoire contemporaine qui se joue ici, dans un temps qui marque l’usure de l’utopie et des rêves surgis en 1968 pour toute une génération.
Out 1 en montre l’Envers à travers la crise, l’effritement, la dilution, la disparition –avec renaissance possible- des groupes, symboles de ceux qui tentèrent d’organiser le désir collectif de vouloir changer le monde. Out 1 est de ce point de vue un film bilan, un film somme dont le carburant est l’imaginaire d’un poète qui nous tend le miroir de nos rêves lesquels nous brûlent, se consumant, ou comme le phénix qui renaît de ses cendres incarnent le Principe espérance* et l’Histoire sans fin.
( Novembre 2015, L.L )
* Le Principe espérance est l’œuvre clef du philosophe Ernst Bloch (Éd. Gallimard -3 vol., collection Philosophie)
Out 1 est aussi à mettre en résonance avec le travail au théâtre de Julian Beck et de Marc’o, les textes de Borges, de Lewis Carrol et l’esprit de Balzac. Rivette comme vous l’entendrez me le dire n’avait pas lu l’ensemble balzacien qui compose L’ Histoire des Treize, soit Ferragus, La duchesse de Langeais et La fille aux yeux d’or quand il entreprit Out 1... inspiré par L’histoire des treize, d’où la séquence avec son complice Eric Rohmer, grand balzacien, pour nous éclairer sur les Treize, cette ténébreuse affaire !
J’ajoute qu’entre 1969 et jusqu’au début de 1971, j’ai moi été élève comédienne du cours Tania Balachova-Raymond Rouleau et donc de Maurice Garrel et de Michael Lonsdale qui y faisaient cours. Je me souviens aussi, à cette époque, avoir assisté en simple curieuse venue avec des amis à cette époque au travail qui se faisait chez Marc’o avec Bulle Ogier, Jean-Pierre Kalfon, Pierre Clémenti, Michèle Moretti...
Le premier grand choc rivettien advint pour moi lorsque je vis à sa sortie L’amour fou . Par la suite, j’ai suivi l’actualité du cinéma de Rivette qui demeure avec des films tels que Paris nous appartient, L’amour fou, Le pont du Nord, La bande des quatre, L’amour par terre un des cinéastes majeur du 7 art. Out 1, film monumental est non seulement un chef d’oeuvre mais un des plus beaux miroirs que le cinéma ait donné de son temps (les années post 1968) mais aussi de notre monde.