Après mai d’Olivier Assayas, avec Clément Métayer, Lola Creton.France, 2012.
En raison de la sortie d’Après mai, voici le témoignage de Richard, ancien responsable du Mouvement de la Jeunesse de La Gauche Prolétarienne.
Il évoque aussi, après la dissolution de la G.P, son travail avec Pierre Goldman dont il fut le proche collaborateur, et revient sur les causes de l’assassinat du militant antifasciste.
A propos de 1968 et de l’impact du texte de Guy Debord "La société du spectacle" , vous pouvez aussi entendre ici quelques souvenirs d’Anne libraire qui, aux côtés de François Maspéro, fut membre de la première équipe de La joie de lire.
« Ô gentilshommes, la vie est courte... Si nous vivons, nous vivons pour marcher sur la tête des rois. » Shakespeare (Henry IV) (2).
L’histoire nous mord la nuque
Après Mai est l’évocation d’une jeunesse au cœur de laquelle on devine celle d’Olivier Assayas et la beauté du film vient de la vitalité de cette jeunesse et comment elle prend corps, à travers ses personnages et leurs actions. Assayas représente sans nostalgie cet après 1968 et insuffle au film tout entier et au spectateur, l’air d’une époque.
Olivier Assayas est un des cinéastes les plus talentueux apparu dans ces trente dernières années. Si son passé de critique aux Cahiers du Cinéma nourrit ses films de réminiscences certaines, son écriture cinématographique, loin de se figer dans la théorie ou le dogme, trouve de manière intuitive, et ce, dès le beau film Désordre, son premier long métrage, une manière de filmer parfaitement organique. Ses films montrent souvent un groupe de jeunes pris dans un mouvement. Ce sera le sujet d’ Après Mai où nous voyons certains éléments de l’onde de choc qui suivit le mouvement de mai 68 sur quelques personnages issus de la classe moyenne. Dans Désordre, il s’agissait du délitement, puis de la mort d’un groupe de musiciens à la suite d’un crime commis par trois d’entre eux. Dans L’eau froide, les personnages par leur jeunesse, et le mouvement de révolte qui les animaient contre l’autorité préparent déjà cet Après mai, film qui montre un groupe de lycéens en rébellion. Assayas s’attache à y décrire la trajectoire de Gilles, personnage principal, dans le sillage de l’après - mai 1968 : ainsi sa traversée des différentes mouvances de l’extrême gauche, ses relations intimes, ses interrogations sur la vie et sur l’Art avant que de devenir peintre. Après mai fait un juste portrait de ce processus et montre comment les membres d’un groupe emportés par l’idée de refaire le monde, s’en distancient ou s’en séparent.
Que faire ?
Le bonheur est une idée neuve, préparons le Grand Soir ! Gilles vend à la criée un journal libertaire à la porte de son lycée, manifeste violemment, milite au Secours Rouge, rentre chez les maos, les quitte parce qu’il a lu les écrits de Simon Leys (et non ceux du Général Guillermaz !), adhère à la Ligue Communiste, repart avec les libertaires, vit ses premiers amours, se lance dans l’action violente, fuit en Italie, revient en France, travaille dans le spectacle et enfin devient peintre. Belle incarnation d’un âge de la rage de vivre, où les désirs se cherchent, où le tracé de la vie avant de s’affirmer, emprunte des détours avant une séparation encore inachevée.
Unité
C’était le temps éphémère de l’unité surgie lors de la grande manifestation du 13 mai où défilent près d’un million de personnes de République à Denfert-Rochereau, à Paris. La révolte contre l’ordre établi secouait alors le monde. A Mexico, la répression fut sanglante avec le massacre du 2 octobre 1968 qui fit plusieurs centaines de morts. En Italie, la contestation s’installe et dure. Le « mai rampant » réussit d’unir étudiants et monde ouvrier, peu avant de s’éteindre avec les années de plomb et le terrorisme qui suivirent.
Mais Assayas n’évoque pas cette monumentale grève de dix millions de salariés en France avec les occupations d’usine, l’assassinat de Pierre Overney et les mobilisations massives qui suivirent. Ce n’est pas son sujet.
Rappelons que de tout cela naquit aussi un cinéma qui interrogea ses formes et ses outils de production, un cinéma qu’on ne vit pas dans les salles, mais qui se rendit à l’usine et aux côtés des luttes anti-impérialistes avec les Groupes Medvedkine de Besançon (Chris Marker), les Groupes Dziga Vertov (Godard), les cinémas de Marin Karmitz, de Jean -Pierre Thorn, de Bruno Muel …
Longtemps après 68, il y eut le film poème Les Amants réguliers de Philippe Garrel, sorte de « brasier ardent » celui -ci montrait mai 68 comme un rêve et en démystifiait la légende.
Séparation
Aujourd’hui, le film d’Assayas montre le travail du temps et filme la séparation. Les mots de « classe ouvrière » et d’ « ouvriers » prononcés par ses personnages y apparaissent volontairement comme purs talismans ou réflexe pavloviens.
Certes, un fait concret ouvre le film, celui de la répression lors de la manifestation interdite du 9 février 1971 à Paris appelée par le Secours rouge, parce que Richard Deshayes, militant de VLR ! établi et dirigeant du Front de Libération de la Jeunesse a perdu un œil, blessé au visage par une grenade tirée à bout portant ; un lycéen est arrêté et inculpé.
En vérité, Assayas choisit de porter plutôt son regard sur la contre - culture émergée du sein de 1968 et vue non comme un décor, une greffe ou du folklore, mais une manière de témoigner aussi de l’esprit de ce temps là et de sa vérité intérieure. Ainsi de la musique, sous influence anglo-américaine dans le rock, de la peinture à travers les textes de Malevitch et des questions soulevées par les textes de Guy Debord , le film offre un miroir vivant. Déjà dans Désordre, l’Eau froide ou ses court métrages, Assayas faisait entendre Janis Joplin, les Clash, Etienne Daho, Elli Medeiros et Jacno et dans Après Mai Syd Barret, Soft machine, Captain Beefheart … Depuis longtemps le cinéma d’Assayas est imprégné de ce type de musique qui a marqué et modelé profondément sa génération. La radicalité s’écrivait alors dans un certain style de vie et de mœurs touchant les coiffures, les vêtements, l’usage du pavot, la liberté sexuelle mais aussi l’émergence du féminisme.
L’Histoire se dérobe
Mais le temps fait son travail. Comme dans la grande Histoire, la trajectoire de Gilles non rectiligne aura connu des hésitations, des régressions ou des avancées soit un mouvement. Celui de cette génération de 1968, qui, après les trente glorieuses, après avoir rêvé d’un avenir encore meilleur s’usera de lente impatience devant cette religion de la vie quotidienne, qu’est la personnification des choses *2. Oui, l’Histoire s’est peu à peu dérobée et la prise de conscience claire des lendemains possibles s’est éclipsée. L‘idée même de révolution, hier rayonnante d’utopie heureuse, de libération et de fête, semble avoir viré au soleil noir *3.
Pourtant c’est sans nostalgie que dans son film , Assayas montre cette lente impatience *4 qui en a conduit, nombreux, à se séparer de cette idée de la révolution qui les avaient un temps embrasés.
Et dans Après Mai émerge aussi, ce qui depuis longtemps revient incessamment dans l’œuvre et les textes d’Olivier Assayas, soit l’essentielle question qui se pose à l’art comme à la politique et que, sept années avant 1968, Guy Debord exprimait déjà dans son cinéma par la critique de la séparation. Trop tôt, trop tard, soit le temps contre l’histoire.
Laura Laufer
1* Cette citation ouvre le texte de Guy Debord Temps et Histoire Chapitre V. de la Société du Spectacle .
2* K. Marx, Le Capital, Paris, 1948-1960, tome 8, pages 207-208
3* Daniel Bensaïd, l’intempestif, Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2012.
4* Daniel Bensaïd Une lente impatience , Paris, Stock, 2004 ;
À lire :
Dans le livre Le temps gage de Jean - Michel Mansion (un ami de Debord et ancien membre de l’internationale lettriste) paru aux éditions Noésis (1) l’amie qui aime le cinéma et qui partage un temps l’ appartement de Jean- Michel et de Marie - Madeleine sa compagne, c’est moi !
Laura L.