Mémoire de cinéma au Rex. Programmation Laura Laufer.
364, avenue de la Division Leclerc. Châtenay-Malabry.
Programme du cinéma - Bienvenue sur le site de Châtenay-Malabry
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Mardi 29 janvier -20h30, je présenterai
Vivre sa vie de Jean-Luc Godard avec Anna Karina, Saddy Rebbot, Brice Parrain, Jean Ferrat. France. 1962. 80’.
Nana, jeune vendeuse dans un magasin de disques n’a pas assez d’argent pour payer son loyer. Elle décide de se prostituer.
Ce film montre avant tout une âme, celle de Nana dont le corps devient marchandise.
Film sur la prostitution parfaitement documenté à partir de l’ouvrage de Marcel Sacotte Où en est la prostitution ? (1959),
Vivre sa vie continue par l’art poétique, novateur et documentaire de Godard à ouvrir la voie à tout le cinéma moderne. Ce film à la fois profond et très simple construit une véritable pensée sur le sens de la vie, de l’amour et de la mort.
Il s’agit aussi d’un chant d’amour composé en douze tableaux par le regard d’un cinéaste sur une femme qu’il a aimée, "C’est notre histoire. C’est l’histoire d’un peintre qui fait le portrait de sa femme. Tu veux que je continue ? - Oui", soit l’intime vue de l’extérieur, le "dedans vu du dehors".
Anna Karina incarne magnifiquement cette Nana qui de l’objet devient sujet, quand s’éveillent sa pensée et son âme. Godard a dédié ce film à la série B et fait évoluer Nana dans des "Bas fonds (non pas) new-yorkais" , mais dans L’Enfer des fils, une Ruelle du malheur, où se trouve le "Café des Studios". Autant de lieux, signes de la pensée d’un fils sur l’état du cinéma, un artiste qui en a profondément renouvelé le langage.
Vivre sa vie est un film limpide, simple, très émouvant. Magnifique. – L.L
Voici une composition d’images que m’a inspirée le film et que j’ai réalisée pour cette page. L’AME + LE CORPS = marchandise. L’ARGENT/ LA PROSTITUTION -
Anna Karina-Vivre sa vie par francomac
« (…) C’ était un film à la fois très simple... C’ était comme s’il fallait arriver à extraire des plans de la nuit, comme si les plans étaient au fond d’un puits et qu’il fallait les attirer à la lumière. Quand je sortais le plan, je me disais : tout y est, rien à retoucher, mais il ne fallait pas faire d’erreur sur ce qu’on sortait, sur ce qu’on devait sortir du premier coup. Je ne voulais pas rechercher d’effets. Je ne voulais pas faire à tout prix ceci ou cela. Je devais risquer le coup. Dans Une femme est une femme, c’était différent, je voulais obtenir certaines choses, par exemple le côté théâtral. Ce côté, je l’ai eu dans Vivre sa vie, mais sans me dire : je dois faire ceci pour l’avoir. Je savais pourtant que je l’aurais. C’était un peu du théâtre -vérité. (...)
Le film est une série de blocs. Il suffit de prendre les pierres et de les mettre les unes à côté des autres. Le tout est de prendre du premier coup les bonnes pierres. L’idéal pour moi est d’obtenir tout de suite ce qui doit aller, et sans retouches. (...) Le tout de suite, c’est le hasard. En même temps, c’est le définitif, par hasard.
J’obtiens un réalisme théâtral. Le théâtre est lui aussi un bloc qu’on ne peut retoucher. Le réalisme, de toute façon n’est jamais exactement le vrai et celui du cinéma est obligatoirement truqué. Je rejoins le théâtre aussi par la parole : dans mon film on doit écouter parler les gens, d’autant plus qu’ils sont souvent de dos et qu’on est pas distrait par leur visage. Le son, lui, est le plus réaliste possible. Il me fait penser à celui des premiers parlants. J’ai toujours aimé le son des premiers parlants, il avait une très grande vérité, car c’était la première fois qu’on entendait des gens parler.
Vivre sa vie, ç’a été l’équilibre qui fait que tout à coup on se sent bien dans la vie, pendant une heure ou un jour ou une semaine : Anna, qui est pour soixante pour cent dans le film, était un peu malheureuse, car elle ne savait jamais très bien à l’avance ce qu’elle aurait à faire. Mais elle était tellement sincère dans sa volonté de jouer quelque chose que c’est finalement cette sincérité qui a joué. De mon côté sans savoir exactement ce que j’allais faire, j’étais si sincère dans mon désir de faire le film que, les deux mis ensemble, nous avons réussi.Nous avons retrouvé à l’arrivée ce que nous avions mis au départ. (…)
(…) Anna n’est pas la seule à avoir donné le meilleur d’elle même. Coutard a réussi sa meilleure photo. Ce qui m’étonne, en revoyant le film, c’est qu’il semble être le plus composé de ceux que j’ai faits, alors qu’il ne l’était vraiment pas. J’ai pris un matériel brut, des galets parfaitement ronds que j’ai mis les uns à côté des autres, et ce matériel s’est organisé. Et puis- cela me frappe seulement maintenant – d’habitude je faisais attention à la couleur des choses, même dans le noir et blanc. Là non. Ce qui était noir était noir, ce qui était blanc était blanc. Et les gens ont tourné avec les habits qu’ils avaient d’habitude, sauf Anna, pour qui on a acheté un pull et un chandail.
Cahiers : Pourquoi la division en douze tableaux ?
Godard : En douze, ça, je ne sais pas mais en tableaux, oui : cela accentue le côté théâtre, le côté Brecht. Je voulais montrer le côté “Aventures de Melle Nana Untel”. La fin du film, elle aussi est très théâtrale : il fallait que le dernier tableau le soit plus que tous les autres. De plus, cette division correspond au côté extérieur des choses qui devait me permettre de mieux donner le sentiment du dedans,au contraire de Pickpocket qui, lui est vu du dedans. Comment rendre le dedans ? Et, bien justement en restant sagement dehors.
Les plus grands tableaux sont des portraits. Il y a Velasquez. Le peintre qui veut rendre un visage rend uniquement l’extérieur des gens ; et pourtant, il y a quelque chose d’autre qui passe. C’est très mystérieux, c’est une aventure. Le film était une aventure intellectuelle, j’ai voulu essayer de filmer une pensée en marche, mais comment arrive-t-on à cela ? On ne le sait pas toujours.
En tout cas, quelque chose passe. C’est pourquoi le cinéma d’Antonioni avec son côté non-communicabilité, n’est pas le mien. Rossellini m’a dit que je frôlais le pêché d’Antonioni, mais que je l’évitais de justesse. Je pense que quand on a ce genre de problèmes, il suffit d’être de bonne foi. Dire que plus on regarde quelqu’un moins on le comprend, je crois que c’est faux. Mais, évidemment si on regarde trop les gens, on finit par se demander à quoi ça sert, c’est inévitable. (…) C’est pour cela aussi que le film est une suite d’esquisses : il faut laisser les gens vivre leur vie, ne pas les regarder trop longtemps, sinon on finit par n’y plus rien comprendre ".-
Extraits de Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, éd. de L’ Étoile - Cahiers du Cinéma, 1985.
Vivre sa vie est dédié à la série B. Voici dans un très beau film de série B de Samuel Fuller, comment la prostituée Kelly récupère son argent sur un client ivre et mauvais payeur. Efficace !
Le portrait ovale est une nouvelle d’Edgar Allan Poe dont on entend un extrait lu par un des clients de Nana, en vérité la voix de Jean-Luc Godard.
Texte intégral :
Le château dans lequel mon domestique s’était avisé de pénétrer de force, plutôt que de me permettre, déplorablement blessé comme je l’étais, de passer une nuit en plein air, était un de ces bâtiments, mélange de grandeur et de mélancolie, qui ont si longtemps dressé leurs fronts sourcilleux au milieu des Apennins, aussi bien dans la réalité que dans l’imagination de mistress Radcliffe. Selon toute apparence, il avait été temporairement et tout récemment abandonné. Nous nous installâmes dans une des chambres les plus petites et les moins somptueusement meublées. Elle était située dans une tour écartée du bâtiment. Sa décoration était riche, mais antique et délabrée. Les murs étaient tendus de tapisseries et décorés de nombreux trophées héraldiques de toute forme, ainsi que d’une quantité vraiment prodigieuse de peintures modernes, pleines de style, dans de riches cadres d’or d’un goût arabesque. Je pris un profond intérêt, ce fut peut-être mon délire qui commençait qui en fut cause, je pris un profond intérêt à ces peintures qui étaient suspendues non seulement sur les faces principales des murs, mais aussi dans une foule de recoins que la bizarre architecture du château rendait inévitables ; si bien que j’ordonnai à Pedro de fermer les lourds volets de la chambre, puisqu’il faisait déjà nuit, d’allumer un grand candélabre à plusieurs branches placé près de son chevet, et d’ouvrir tout grands les rideaux de velours noir garnis de crépines qui entouraient le lit. Je désirais que cela fût ainsi, pour que je pusse au moins, si je ne pouvais pas dormir, me consoler alternativement par la contemplation de ces peintures et par la lecture d’un petit volume que j’avais trouvé sur l’oreiller et qui en contenait l’appréciation et l’analyse.
Je lus longtemps, longtemps ; je contemplai religieusement, dévotement ; les heures s’envolèrent rapides et glorieuses, et le profond minuit arriva. La position du candélabre me déplaisait, et, étendant la main avec difficulté pour ne pas déranger mon valet assoupi, je plaçai l’objet de manière à jeter les rayons en plein sur le livre.
Mais l’action produisit un effet absolument inattendu. Les rayons des nombreuses bougies (car il y en avait beaucoup) tombèrent alors sur une niche de la chambre que l’une des colonnes du lit avait jusque-là couverte d’une ombre profonde. J’aperçus dans une vive lumière une peinture qui m’avait d’abord échappé. C’était le portrait d’une jeune fille déjà mûrissante et presque femme. Je jetai sur la peinture un coup d’oeil rapide, et je fermai les yeux. Pourquoi, je ne le compris pas bien moi-même tout d’abord. Mais pendant que mes paupières restaient closes, j’analysai rapidement la raison qui me les faisait fermer ainsi. C’était un mouvement involontaire pour gagner du temps et pour penser, pour m’assurer que ma vue ne m’avait pas trompé, pour calmer et préparer mon esprit à une contemplation plus froide et plus sûre. Au bout de quelques instants, je regardai de nouveau la peinture fixement.
Je ne pouvais pas douter, quand même je l’aurais voulu, que je n’y visse alors très nettement ; car le premier éclair du flambeau sur cette toile avait dissipé la stupeur rêveuse dont mes sens étaient possédés, et m’avait rappelé tout d’un coup à la vie réelle.
Le portrait, je l’ai déjà dit, était celui d’une jeune fille. C’était une simple tête, avec des épaules, le tout dans ce style qu’on appelle en langage technique, style de vignette ; beaucoup de la manière de Sully dans ses têtes de prédilection. Les bras, le sein, et même les bouts des cheveux rayonnants, se fondaient insaisissablement dans l’ombre vague mais profonde qui servait de fond à l’ensemble. Le cadre était ovale, magnifiquement doré et guilloché dans le goût moresque. Comme œuvre d’art, on ne pouvait rien trouver de plus admirable que la peinture elle-même. Mais il se peut bien que ce ne fût ni l’exécution de l’œuvre, ni l’immortelle beauté de la physionomie, qui m’impressionna si soudainement et si fortement. Encore moins devais-je croire que mon imagination, sortant d’un demi-sommeil, eût pris la tête pour celle d’une personne vivante. Je vis tout d’abord que les détails du dessin, le style de vignette, et l’aspect du cadre auraient immédiatement dissipé un pareil charme, et m’auraient préservé de toute illusion même momentanée. Tout en faisant ces réflexions, et très vivement, je restai, à demi étendu, à demi assis, une heure entière peut-être, les yeux rivés à ce portrait. A la longue, ayant découvert le vrai secret de son effet, je me laissai retomber sur le lit. J’avais deviné que le charme de la peinture était une expression vitale absolument adéquate à la vie elle- même, qui d’abord m’avait fait tressaillir, et finalement m’avait confondu, subjugué, épouvanté. Avec une terreur profonde et respectueuse, je replaçai le candélabre dans sa position première. Ayant ainsi dérobé à ma vue la cause de ma profonde agitation, je cherchai vivement le volume qui contenait l’analyse des tableaux et leur histoire. Allant droit au numéro qui désignait le portrait ovale, j’y lus le vague et singulier récit qui suit :
« C’était une jeune fille d’une très rare beauté, et qui n’était pas moins aimable que pleine de gaieté. Et maudite fut l’heure où elle vit, et aima, et épousa le peintre. Lui, passionné, studieux, austère, et ayant déjà trouvé une épouse dans son Art ; elle, une jeune fille d’une très rare beauté, et non moins aimable que pleine de gaieté : rien que lumière et sourires, et la folâtrerie d’un jeune faon ; aimant et chérissant toutes choses ; ne haïssant que l’Art qui était son rival ; ne redoutant que la palette et les brosses, et les autres instruments fâcheux qui la privaient de la figure de son adoré. Ce fut une terrible chose pour cette dame que d’entendre le peintre parler du désir de peindre même sa jeune épouse. Mais elle était humble et obéissante, et elle s’assit avec douceur pendant de longues semaines dans la sombre et haute chambre de la tour, où la lumière filtrait sur la pâle toile seulement par le plafond. Mais lui, le peintre, mettait sa gloire dans son œuvre, qui avançait d’heure en heure et de jour en jour. Et c’était un homme passionné, et étrange, et pensif, qui se perdait en rêveries ; si bien qu’il ne voulait pas voir que la lumière qui tombait si lugubrement dans cette tour isolée desséchait la santé et les esprits de sa femme, qui languissait visiblement pour tout le monde, excepté pour lui. Cependant elle souriait toujours, et toujours, sans se plaindre, parce qu’elle voyait que le peintre (qui avait un grand renom) prenait un plaisir vif et brûlant dans sa tâche, et travaillait nuit et jour pour peindre celle qui l’aimait si fort, mais qui devenait de jour en jour plus languissante et plus faible. Et en vérité, ceux qui contemplaient le portrait parlaient à voix basse de sa ressemblance, comme d’une puissante merveille et comme d’une preuve non moins grande de la puissance du peintre que de son profond amour pour celle qu’il peignait si miraculeusement bien. Mais à la longue, comme la besogne approchait de sa fin, personne ne fut plus admis dans la tour ; car le peintre était devenu fou par l’ardeur de son travail, et il détournait rarement ses yeux de la toile, même pour regarder la figure de sa femme. Et il ne voulait pas voir que les couleurs qu’il étalait sur la toile étaient tirées des joues de celle qui était assise près de lui. Et quand bien des semaines furent passées, et qu’il ne restait plus que peu de chose à faire, rien qu’une touche sur la bouche et un glacis sur l’oeil, l’esprit de la dame palpita encore comme la flamme dans le bec d’une lampe. Et alors la touche fut donnée, et alors le glacis fut placé ; et pendant un moment le peintre se tint en extase devant le travail qu’il avait travaillé ; mais une minute après, comme il contemplait encore, il trembla, et il devint très pâle, et il fut frappé d’effroi ; et criant d’une voix éclatante : en vérité c’est la Vie elle-même ! Il se retourna brusquement pour regarder sa bien-aimée ; elle était morte ! »
Voici le philosophe du langage Brice Parrain dans le film de Godard
Retrouvez le même Brice Parrain dans une conversation filmée par Eric Rohmer sur Blaise Pascal
- je vous lirai (fichier mp3), un extrait de Vie de Marie Thérese, journal d’une prostituée, récit paru en 1947 et 1948 dans la revue de Jean-Paul Sartre, Les Temps modernes.
Brice Parrain
Vie de Marie Thérese, journal d’une prostituée récit paru en 1947 et 1948 dans la revue de Jean-Paul Sartre, Les Temps modernes.
Extrait :
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