Dans le cycle de rencontres Mémoire de Cinéma, je présente VERS SA DESTINEE (Young Mister Lincoln) de John FORD.
Etats-Unis - 1h40 - 1939 - VOST- Avec Henry Fonda, Ward Bond, Alice Brady.
Mardi 29 avril à 20h30 au cinéma LE REX 364 Avenue de la Division Leclerc, 92 290 CHATENAY-MALABRY.Tél. : 01 40 83 19 73
Accessible aux personnes à mobilité réduite.
Transports en Commun :
 RER B (Robinson) puis bus 195 (Butte Rouge)
 Ligne 12 du Paladin (Cité Jardins - Butte Rouge)
 Ligne 195 - 194 et 379 de la RATP (Cité Jardins - Butte Rouge)
Parking de l’esplanade : souterrain, gratuit et surveillé (situé au niveau du n° 301 de l’avenue de la Division Leclerc)

Pour chaque séance de Mémoire de Cinéma, venez à deux : une place achetée = la deuxième est offerte ! Le cycle offre aux spectateurs la découverte ou redécouverte de films du patrimoine. A la fin des séances, une discussion permet de croiser les regards sur ces œuvres et de dégager de nouvelles perspectives sur leur lecture et leur interprétation.
Programmation et animation, Laura Laufer.

Ici, dans l’extrait : une des plus belles ellipses au cinéma... http://www.cac-le-rex.fr/index.php/a-l-affiche/du-23-au-29-avril-2014/92-vers-sa-destinee.

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New Salem, Illinois, 1832. Le jeune Abraham Lincoln étudie le droit en autodidacte. Anne Rutledge l’encourage. Elle décède durant l’hiver. Abe vient se recueillir sur sa tombe et jure de respecter ses voeux...

En 1939, la Fox voulait tourner une version républicaine du personnage de Lincoln, en réponse à la version démocrate sortie la même année et réalisée par John Cromwell avec l’acteur Raymond Massey. Le choix du studio s’était porté sur John Ford. Disons le net, le film de John Cromwel est plus qu’honorable et Massey, en grand acteur de théâtre, y compose un puissant Lincoln qui gagnera d’ailleurs l’Award de la meilleure interprétation de l’année, mais toute ma préférence va, sans conteste, à la version de John Ford que je considère comme un chef d’oeuvre.
Si John Ford a placé, au tout début du film, le programme du parti whig dans la bouche du jeune Lincoln, c’est pour ne plus y revenir par la suite car ce n’est pas là ce qui l’intéresse. Le personnage présente en une courte phrase son programme en trois points : création d’une banque nationale, protectionnisme et développement des transports. (À ce dernier propos, on se souviendra que John Ford fut aussi le réalisateur, en 1924, du célèbre Iron horse (Le Cheval de fer) où durant la Guerre Civile, le personnage de Lincoln venait inaugurer le chemin de fer Transcontinental dont il avait par décret autoriser la construction).
Dans Vers sa destinée, John Ford abandonne le programme politique de Lincoln pour faire de l’avocat autodidacte Lincoln le défenseur "naturel" de la Loi et de la Famille, de la Religion et de la Morale. John Ford, ne l’oublions pas, est catholique irlandais et il n’a cessé dans sa très longue oeuvre (déjà soixante-trois films muets de 1917 à 1928 ) d’y revenir et à dater de 1952, à travers ses vingt-six derniers films (1952-1966) d’en interroger les valeurs et d’en faire, y compris la critique.

Dans Vers sa destinée (Young mister Lincoln), le cinéaste retient quelques épisodes de la vie de Lincoln pour construire le portrait d’un homme jeune, simple, tenace, issu du peuple et dont les qualités morales et physiques ne peuvent qu’emporter l’adhésion.

Le film possède une poésie très émouvante et singulière due à la capacité qu’a John Ford de créer aussi bien une galerie de personnages pittoresques que de montrer les liens intimes existant entre l’univers et le projet particulier qui anime le jeune Lincoln.

Dans la première partie du film, le personnage puise dans la nature et auprès d’Anne Rutledge la force intérieure qui lui fera gravir le plus haut sommet. La seconde partie du film s’inspire d’un procès qui fut gagné par Lincoln mais, en vérité, plus tard dans sa carrière. Cet épisode permet à John Ford de montrer l’intelligence politique du personnage qui, anticipant les réactions de la foule, sait les endiguer et les retourner au profit de ses convictions et de sa conception de la justice.

Impressionné par la figure historique de Lincoln, Henry Fonda hésitait à jouer le rôle. Ford lui dira « Vous pensez jouer un grand émancipateur. C’est uniquement un sacré plouc d’avocat de Springfield ! »ce qui convaincra l’acteur (cf.la vidéo ci -dessus avec le témoignage d’Henri Fonda).

Henry Fonda, qui travaillera fructueusement sept fois sous la direction de John Ford, fait merveille dans cette incarnation de Lincoln. De son jeu d’ acteur naît une figure proche des hommes, qui sait aussi s’en détacher pour s’élever et peu à peu s’agrandir à la dimension du mythe populaire et national.
 

J’ai relu récemment l’article "Young Mister Lincoln" du numéro des Cahiers du cinéma de 1970. Il associait, par une courte citation en préambule de son analyse, le portrait du Lincoln de John Ford à celui qu’en donnait Friedrich Engels et Karl Marx dans la revue Die Presse du 12 octobre 1862.
Ce texte constitue effectivement une excellente description du personnage tel que l’incarne Henri Fonda dans le film de John Ford ! Je ne résiste pas à le livrer ici en en soulignant ce qui fait trait commun entre les deux visions du personnage.

" La figure de Lincoln est originale dans les annales de l’histoire. Nulle initiative, nulle force de persuasion idéaliste, nulle attitude, ni pose historiques. Il donne toujours à ses actes les plus importants la forme la plus anodine. Alors que tout autre, s’il se bat pour un pouce de terre, proclame qu’il « lutte pour une idée »,Lincoln, qui se bat pour une idée, en parle comme d’ « un pouce de terrain ».
Avec hésitation et réticence, il chante, bon gré mal gré, l’air de bravoure de son rôle, comme s’il demandait pardon d’être contraint de par les circonstances à « faire le lion ». Les décrets les plus formidables et les plus historiques qu’il lance à la face de l’adversaire, ressemblent et s’efforcent de ressembler à des charges de routine qu’un avocat oppose au tribunal, à des chicanes juridiques, à des plaintes mesquines et dûment motivées par tel article du code. Tout cela caractérise exactement sa dernière proclamation, qui est le document le plus important de l’histoire américaine depuis la fondation de l’Union puisqu’il met en pièces la vieille Constitution américaine : son manifeste sur l’abolition de l’esclavage.
Rien n’est plus facile que de relever, dans les actions d’État de Lincoln, des traits inesthétiques, des insuffisances logiques, des côtés burlesques et des contradictions politiques : les pindares anglais de l’esclavage tels que le Times, la Saturday Review et tutti quanti ne se font pas faute de les monter en épingle. Néanmoins, Lincoln prendra place immédiatement aux côtés de Washington dans l’histoire des États-Unis et de l’humanité. De fait, aujourd’hui que l’événement le plus insignifiant assume en Europe un air mélodramatique, n’est-il pas significatif que dans le Nouveau-Monde les faits importants se drapent dans le voile du quotidien ?
Lincoln n’est pas le produit de la révolution populaire : le jeu banal du suffrage universel, qui ignore tout des grandes tâches historiques à résoudre, l’a hissé au sommet, lui, le plébéien qui a bien fait son chemin, de casseur de pierres qu’il était au sénateur de l’Illinois qu’il est devenu, lui qui est dépourvu de brillant intellectuel, est sans grandeur de caractère notable et n’a aucune valeur exceptionnelle, car c’est un homme moyen de bonne volonté. La plus grande victoire que le Nouveau-Monde ait jamais remportée, c’est d’avoir démontré qu’étant donné le niveau avancé de son organisation politique et sociale, il est possible que des gens de l’ordinaire, animés de bonne volonté, réalisent des tâches pour lesquelles le vieux monde avait besoin de héros.(…)"
Extrait de Friedrich Engels et Karl Marx : LES ÉVÉNEMENTS D’AMÉRIQUE DU NORD - Die Presse, 12 octobre 1862. Londres, le 7 octobre 1862.