Carl Theodor Dreyer est un des plus grands artistes du XXè siècle et
Ordet est dans le cycle Mémoire de cinéma au Rex de Châtenay-Malabry.
Je signale que sur le site du Danish Film Institute, il est possible de regarder en ligne (sous -tirage en anglais) des courts métrage de Dreyer : Ils attrapèrent le bac, ou L’Aide aux Mères, Thorvaldsen ainsi que quelques uns de ses longs métrage muets.
www.dfi.dk/Service/Presserum/Nyt-website-om-Carl-Th-Dreyer/English/Filmography/See-films.aspx
Les films de Carl Theodor Dreyer, de même que ceux tournés par Kenji Mizoguchi, me bouleversent toujours autant, chaque fois que je les revois.
Archive sonore : Maurice Drouzy, auteur d’une biographie de référence de Carl Theodor Dreyer, fondateur et ancien responsable de l’enseignement du cinéma à l’université de Copenhague.
J’ai eu le bonheur de rencontrer Maurice Drouzy lors d’une projection de Gertrud - un de mes films de chevet - que j’étais allée revoir pour la énième fois.
J’ai réalisé le lendemain cet entretien avant que Maurice Drouzy ne s’envole deux heures plus tard pour le Danemark.
Je reçus, peu après, une chaleureuse carte me remerciant de mon enthousiasme pour l’œuvre d’un des artistes que je considère comme un des plus grands du cinématographe.
Maurice Drouzy était un historien du cinéma danois, spécialiste de l’œuvre de Carl Theodor Dreyer mais aussi de celle de Luis Buñuel et qui a écrit sur leurs films des analyses pertinentes.
-cf. Maurice Drouzy Buñuel, architecte du rêve Ramsay,nouvelle édition. 2005.
Sa biographie de Dreyer révèle des pans importants de la vie de l’artiste et aide à mieux comprendre l’ œuvre de celui qui fut un enfant adopté et dont la mère vécut un véritable martyr dans un pays marqué par l’oppression des femmes, le puritanisme et l’intolérance .
cf. Carl Th. Dreyer né Nillson, éditions du Cerf, 1983.
Grand de taille, Maurice Drouzy était d’une disponibilité et d’une gentillesse dont je garde un souvenir ému. Il appartenait, comme Henri Agel -que l’on pourra aussi entendre un jour sur ce site - à cette catégorie de grands critiques et historiens du cinéma qui avaient la passion de transmettre de manière désintéressée leur amour et leur connaissance de cet art.
Mes enregistrements de Maurice Drouzy à propos de Dreyer durent environ 60 minutes sachant que l’intégration sur le site de mes documents sonores -originellement sur cassettes- m’impose de les fractionner en fonction des tailles de fichier.
Ci -dessous : un extrait du film Dies Irae. (Jour de colère) (1943) tourné au Danemark par Carl Th. Dreyer en pleine occupation nazie.
Comme dans La passion de Jeanne d’Arc ,on retrouve dans Dies irae (Jour de colère) la femme jugée comme sorcière par l’Eglise : un tribunal composé d’hommes, soit les forces ordonnant la mort opposées à la foi en l’amour et en la vie.
« Carl Th. Dreyer cultivait des vertus bourgeoises : son foyer était décoré dans un goût pur et simple comparé à la mode de son temps et de la classe moyenne ; son apparence aussi était différente : réservée et polie, toute son existence fut en accord avec les lois et horaires. Carl Th. Dreyer offrait chaque samedi un demi-mètre de chocolat dans un bel emballage populaire… comme cadeau à sa femme. Il régnait sur sa maison : droit, juste, avec amour. Dans son salon une seule image : une grande reproduction d’une madone avec enfant dans une exécution qui fait penser à une illustration de revue féminine. Il lisait studieusement ces revues et découpait des images pour les classer dans ses
imposantes archives. Il traitait ces images avec une attention quasi religieuse et un regard plein d’amour comme s’il s’était agi d’oeuvres d’art. Carl Th. Dreyer était un homme modeste comme son foyer et, plus tard, sa tombe. Carl Th. Dreyer a possédé la pureté du coeur et l’humilité naturelle d’un homme passionné. La passion de Carl Th. Dreyer était le FILM. »
Lars Von Trier
Retour sur quelques films de Dreyer, présentés sur une plaquette de la Filmohèque qui lui consacrait, il y a peu de temps une rétrospective.
LE MAITRE DU LOGIS (Du skal aere din hustru) 1925 (muet) 1H47 scénario de C.T. Dreyer
et Sven Rindom d’après sa pièce La Chute d’un tyran, avec Johannes Meyer, Astrid Holm, Karin Nellemose, Mathilde Nielsen
Un homme tyrannise toute sa famille. Malade, sa femme part se reposer à la campagne. La vieille nourrice s’installe alors en maîtresse dans leur appartement provoquant petit à petit la chute du tyran… La maîtrise technique et stylistique de Dreyer est totale dans ce septième long métrage muet. Il s’y ajoute une virtuosité que l’auteur a toujours voulu cultiver et qui consiste à mettre en valeur, dans chaque film, un élément nouveau correspondant à la spécificité de l’intrigue. Ici c’est le refus du tragique et l’ironie souriante avec laquelle il entend traiter ce conflit familial. Rarement les humbles gestes quotidiens du ménage ont été filmés avec autant d’humour et d’attention.
LA PASSION DE JEANNE D’ARC 1928 (muet) 1H35 scénario de C.T. Dreyer en
collaboration avec Joseph Delteil, photographie de Rudolph Maté, avec Renée Falconetti, Eugène Sylvain, Maurice Schutz, Louis Ravet, Antonin Artaud, Michel Simon
Les minutes du procès de Jeanne d’Arc en 1431 à Rouen, devant un tribunal d’occupation anglaise.
Concentrant le procès de Jeanne d’Arc sur un seul jour, essentiellement consacré aux interrogatoires, ce film sorti à la fin du muet semble appeler de ses voeux le parlant, mais parvient miraculeusement à transcender le handicap du silence. On ne sait ce qu’il faut admirer le plus dans cette oeuvre : le montage proprement génial, la photographie de Rudolph Maté, l’interprétation de la grande comédienne française Renée Falconetti (ce fut le seul film de cette actrice de théâtre), les visages merveilleusement expressifs des juges, ou la fin sublime et terrible. Dreyer réunit tous ces éléments pour une étude sur la vie intérieure d’un être humain dont l’intensité n’a jamais été égalée.
VAMPYR 1931 1H23 scenario de C.T. Dreyer et Christian Jul d’après deux nouvelles de Sheridan Le Fanu, photographie de Rudolph Maté, avec Julian West, Maurice Schutz, Sybille Schmitz, Rena Mandel
Un homme passe la nuit dans une auberge, son sommeil est agité par un cauchemar. Réveillé, il aperçoit dehors des ombres insolites, il les poursuit. C’est alors qu’il parvient à l’entrée d’un château étrange, noyé dans la brume où la fille du châtelain semble possédée… Le parlant venu, le cinéaste
tourne Vampyr. Avec ce film, Dreyer et Maté créèrent un univers onirique gris et blanc, un monde de brumes et de fantasmes où rien n’est sûr, où chaque événement n’est peut-être qu’imaginé. Quelques rares paroles sont prononcées dans
le film. Mais la sensation de se trouver dans un univers clos, dont les lois relèvent exclusivement du songe n’en est que plus
forte. Vampyr fut pourtant un nouvel échec commercial et les éloges de la critique arrivèrent bien trop tard : Dreyer fut obligé de renoncer au cinéma pendant onze ans, reprenant même son métier de journaliste en 1935.
« Puisque le réalisme n’est pas l’art en soi, et puisqu’il faut en même temps qu’il y ait une correspondance entre l’authenticité des choses, je cherche à faire entrer les réalités dans une forme simplifiée et abrégée pour atteindre ce que j’appellerai un réalisme psychologique ». Carl Th. Dreyer, Réflexions sur mon métier (Cahiers du cinéma, Ed. de l’Etoile)
JOUR DE COLERE (Dies Irae) 1943 1H32 avec Thorkild Roose, Lisbeth Movin, Sigrid
Neiliendam, Preben Lerdoff Rye
Au début du 17ème siècle, un vieux pasteur épouse la fille bien jeune d’une présumée sorcière. Mais quand le fils du pasteur rentre de voyage, il tombe désespérément amoureux de sa belle-mère, un sentiment partagé par la jeune femme… Ce qui frappe d’abord, c’est l’habileté de ce scénario où Dreyer est parvenu à ménager à la fois la vraisemblance historique et les exigences rationalistes du public moderne. Tous ces actes de sorcellerie peuvent n’être que coïncidences, mais si troublantes que le seul hasard parait bien improbable.
Grâce à une science admirable des lumières et du cadrage, la moitié du film est un Rembrandt vivant. Par bien des aspects dans la tradition du cinéma muet, Jour de colère s’est pourtant donné l’élégance d’utiliser le son avec un raffinement suprême.
ORDET (La Parole) 1954 2H06 scenario de C.T. Dreyer avec Henrik Malberg, Emil-Hass Christensen, Preben Lerdoff Rye, Cay Kristiansen
Dans un petit village en 1930, des divergences religieuses entre deux familles de pasteurs empêchent le mariage de leurs enfants. Film profondément stylisé, conçu sur des partis pris affirmés tant dans le cadrage que dans le rythme lent et le jeu posé des acteurs, et la lumière feutrée, diffuse qui caractérise la demeure de Borgensgaard. Cette rigueur ne tend pas à souligner la spiritualité mais au contraire à faire sentir son absence dans un univers pourtant marqué par le religieux.
Le thème de l’intolérance n’est traité qu’indirectement, Dreyer s’interroge davantage sur les rapports « concrets » entre Dieu et l’homme. Ordet est un hymne à la femme, et donc à la vie, plus forte que les croyances et les théories. Une oeuvre magistrale.
GERTRUD 1964 1H59 scénario de C.T. Dreyer d’après la pièce de Hjalmar Soderberg avec Nina Pens Rode, Bendt Rothe, Ebbe Rode, Baard Owe
Son mari avocat s’intéressant davantage à sa carrière qu’à elle-même, une jeune cantatrice suédoise s’éprend d’un jeune musicien qui l’abandonne à son tour. Elle choisit de vieillir dans la solitude, réaffirmant à la fin de sa vie que « l’amour est tout ». Ce film raffiné, à la structure musicale très subtile, différait trop de ce qu’on attendait de l’auteur d’Ordet et était trop en avance sur son temps sous des dehors désuets : il fut très mal accueilli à sa sortie.
Cette oeuvre ultime est pourtant le sommet de l’art de Dreyer et un film d’une
étonnante modernité. Porté par des images d’une absolue évidence, un texte sublime dit l’amour, la vie et la mort et se transforme en musique.
« Gertrud est égale, en folie et en beauté, aux dernières oeuvres de Beethoven. » Jean-Luc Godard
« Quiconque a vu mes films – les meilleurs d’entre eux – saura quelle importance
j’attache au travail de l’acteur. Il n’y a rien au monde qui puisse être comparé à un
visage humain. C’est une terre qu’on n’est jamais las d’explorer, un paysage (qu’il soit
rude ou paisible) d’une beauté unique. Il n’y a pas de plus noble expérience, dans un
studio, que de constater comment l’expression d’un visage sensible, sous la force
mystérieuse de l’inspiration, s’anime de l’intérieur et se transforme en poésie. ».
Carl Th. Dreyer, Réflexions sur mon métier (Cahiers du cinéma, Ed. de l’Etoile)