Kenji Mizoguchi à Paris, puis à Venise pour la Mostra de 1953, en compagnie de l’actrice Tanaka Kinuyo qui joua dans quinze de ses films et du scénariste Yoda Yoshikata.
Le 11 décembre, à 20h30 dans le cadre du cycle Mémoire de cinéma au cinéma Rex de Châtenay- Malabry, je présenterai le film de Kenji Mizoguchi Femmes de la nuit (1948).
Laura.
Carline Diallo, directrice du Rex, m’a commandé une programmation de « films classiques » afin de renouer le fil avec les cycles Mémoire de cinéma qui ont déjà existé dans cette salle.
La qualification de « classiques » a plus d’un sens et sa valeur étant controversée, j’ai retenu que c’est l’histoire qui permet de la référencer ainsi.
J’ai choisi des films qui par la qualité de leur écriture, la richesse de leur contenu et l’importance de leurs auteurs ont marqué l’histoire du 7e Art. J’ajoute qu’ils m’ont moi-même marquée, que je les ai aimés, que leur valeur n’a cessé pour moi de grandir avec le temps, d’où ce prélèvement subjectif dans l’immensité du cinéma.
La mémoire vivante est un champ d’expériences au regard d’une certaine somme de connaissances. Sa perception varie selon que l’on est historien, critique, cinéphile, amateur… Les rencontres au Rex, avec des spectateurs complices, permettront d’entrecroiser les regards sur ces films dont j’espère transmettre l’idée que par leurs objets et leurs signes, ils résonnent en nous, vivants et constitutifs de notre présent.
Ma programmation a été établie quelques jours avant la disparition de Chris Marker. Je souhaite, pour conclure, le citer dans ce qu’il écrit sur Immemory que tout internaute, amoureux de l’imaginaire et curieux des œuvres majeures de notre temps, doit visiter sur www.gorgomancy.net/HTML/Immemory/index.html : « Dans nos moments de rêverie mégalomaniaque, nous avons tendance à voir notre mémoire comme une espèce de livre d’Histoire : nous avons gagné et perdu des batailles, trouvé et perdu des empires. À tout le moins, nous sommes les personnages d’un roman classique (…) Une approche plus modeste et peut-être plus fructueuse serait de considérer les fragments d’une mémoire en termes de géographie » et, à partir d’une certaine quantité d’objets dessinant un itinéraire, Marker propose de « cartographier le pays imaginaire qui s’étend au dedans de nous. »
Mémoire de cinéma au Rex espère susciter le désir d’un tel voyage.
(Yoru no Onnatachi) de Kenji Mizoguchi avec Tanaka Kinuyo, Sanae Takasugi, Kumeko Urabe. Japon. 1948. 105 ‘.
Osaka, au lendemain de 1945. Une veuve de guerre perd son enfant tuberculeux, faute d’argent. Elle retrouve du travail, mais disparaît quand son patron et amant la trompe avec sa sœur. On la retrouve devenue la reine des prostituées.
Mizoguchi a toujours su, de manière remarquable, diriger les mouvements du corps à l’écran. Que ceux-ci expriment l’attraction ou le rejet, la chute ou le sursaut, la violence ou la douceur, l’agression ou la protection, la révolte ou la soumission... La richesse des gestes que le cinéaste exigeait de l’acteur et de l’actrice pour incarner leur personnage permettait de révéler, avec la plus grande précision, la vérité de leur état et de leur sort. Ce souci du détail pour atteindre au plus grand réalisme concerne tous les éléments de la mise en scène dans l’œuvre de Mizoguchi. Dans ses films, les acteurs, et particulièrement, les actrices, donnent le meilleur d’eux – mêmes, dirigés par la main d’un maître dont l’exigence a marqué tous ceux qui ont travaillé avec lui. Le cinéaste choisissait de très grandes comédiennes, le plus souvent venues du théâtre et capables de donner, sous sa direction, intensité dramatique et pouvoir émotionnel à leur travail. La remarquable transformation du personnage de Fusako, joué par Tanaka Kinuyo dans Les femmes de la nuit doit aussi son efficacité au très grand talent d’une comédienne exceptionnelle.
Par sa durée, par la place de la caméra, par sa distance, et par l’organisation des mouvements à l’intérieur même du plan, l’art réaliste de Mizoguchi est particulièrement synthétique. Il permet à l’action de se déployer dans le temps et dans l’espace, en même temps qu’il révèle, détail par détail, la nature précise d’une situation dont l’intensité dramatique se joue au plan psychologique, physique et social.
Kenji Mizoguchi a toujours exprimé, dans son œuvre, sa révolte contre la condition faite aux femmes. Dans Femmes de la nuit, il fait voir comment dans le Japon dévasté par la guerre, après 1945, la femme subit malheur sur malheur, et se livre à la prostitution de rue dans des conditions de sauvagerie extrêmes.
Femmes de la nuit, sous l’influence du néoréalisme, montre la descente dans l’enfer d’une véritable jungle où la loi du plus fort contamine les femmes et règne sur un décor urbain naturel fait de quartiers sordides, de terrains vagues, de faubourgs misérables et de l’hôpital des femmes syphilitiques. Dans les ruines d’un monde humilié par la défaite, la nécessité de survivre crée un ordre barbare où les femmes font subir à d’autres femmes la violence que, d’ordinaire, dans les films de Mizoguchi, les hommes imposent à la femme.
Les femmes de la nuit, film coup-de-poing et drame réaliste sans concession, possède un final expressionniste tourné dans des décors et placé sous un signe chrétien, curieux pour Mizoguchi, un des plus grands artistes du 7e Art. –
– L.L
Kenji Mizoguchi : des femmes dont il nous parle.
Courtisanes, geishas, femmes galantes, prostituées maïkos, prostituées pan pan...
à gauche Le début d’un destin : au bordel, la mère maquerelle prépare la jeune paysanne vendue par sa famille à affronter ses premiers clients dans La rue de la honte.
à droite La fin d’un destin : O’ haru femme galante.
ur