par Laura Laufer.
L’exposition « Il était une fois Walt Disney » présente, aux Galeries nationales du Grand Palais à Paris, « story-boards », dessins originaux, maquettes des studios Disney et leurs influences littéraires ou iconographiques venues d’Europe.
Les productions Disney ont fait date dans l’histoire de l’art du xxe siècle et créé une véritable culture populaire. Le meilleur de Disney va de 1928 à 1945, même s’il subsiste, dans Alice au Pays des merveilles, Peter Pan ou Les 101 dalmatiens, quelques jolis reflets des premiers éclats.
Ub Iwerks, Gustaf Tenggreen, Bill Tytla, Art Babbit... Le visiteur doit ouvrir l’œil, car si l’exposition mentionne les noms de ces dessinateurs peu connus du grand public, les panneaux récapitulatifs de chaque salle louent le seul Walt Disney, dont le rôle social et politique est quasiment tu. Peu de chose sur La Face cachée du prince d’Hollywood (lire Marc Eliot, Walt Disney, Albin Michel, 15 euros) : Walt Disney devint dans les années quarante un anticommuniste acharné bientôt au service du FBI maccarthiste, un grand patron refusant le syndicat et toute négociation avec ses salariés, un antisémite notoire et, selon Marc Eliot, un sympathisant probable du parti nazi américain.
On doit à Ub Iwerks le dessin de Mickey Mouse, auquel Walt prête sa voix. Disney avait rencontré Iwerks, dessinateur très doué, en 1919. Il dessine pour Disney la série des Alice’s comedies, en 1924, puis Oswald le Lapin dont Disney, du fait d’un contrat au profit du distributeur, perd les droits. Le succès viendra pour Disney, en tant que producteur, avec la petite souris.
Ci-dessous Oswald le Lapin. Ub Iwerks dessine un personnage de lapin aux longues oreilles dont la forme annonce la future petite souris Mickey.
En 1928, Crazy Planes, Steamboat Willie..., les premiers Mickey dessinés par Iwerks et réalisés par Disney sont des chefs-d’œuvre d’humour et de poésie à l’inventivité constante. Le dessin, par son épure et la simplicité du trait, semble magique. La petite souris au museau alors pointu, impertinente, facétieuse, déteste le travail que lui impose son maître, le chat Pete (Pat Hibulaire en français). Iwerks part, en 1930, créer ses propres studios (voir le DVD Comicolore et Flip the Frog, d’Ub Iwerks, MK2). Disney brevète sous marque déposée à son nom, la production de ses studios, dont Mickey et la caméra multiplane (1) qu’on doit à Iwerks.
En 1933, de six collaborateurs, le studio de Disney passe à 50, dont Grim Natwick qui créa Betty Boop pour Fleischer et enfanta Blanche Neige, Art Babbitt, Joe Grant et Bill Tytla ; en 1935, Gustaf Tenggren le rejoint, futur directeur artistique de Blanche Neige et Les Sept Nains, premier long-métrage d’animation. En 1941, le studio compte 1 200 employés et Walt Disney a acquis, en Europe, plus de 300 ouvrages destinés à inspirer la production du studio. L’exposition montre sa collection d’éditions rares des contes de Grimm, Perrault, Andersen, mais aussi de fables d’Esope, de La Fontaine, textes de Kipling, de Lewis Carroll, ainsi que des œuvres de Daumier, Gustave Doré, des illustrations de Grandville, Benjamin Rabier, Beatrix Potter, Arthur Rackham. Côté cinéma, l’influence vient d’ Émile Reynaud, Émile Cohl, Méliès, l’expressionnisme allemand, le cinéma burlesque...
Curieusement, l’exposition n’explore pas les recherches sonores des studios Disney inaugurées par la superbe Danse des squelettes (1929), dessinée par Iwerks, et qui trouve un aboutissement controversé avec Fantasia. Stravinsky est "contre". Eisenstein, auteur d’un livre sur Disney et qui réalisera Ivan le Terrible avec Prokofiev est "pour". Si les artistes des studios sont les véritables créateurs des dessins, Disney possède, selon ses premiers collaborateurs, un sens inouï de l’art du montage, du récit, et son énergie unifie les talents. Sa volonté esthétique ne fait pas de doute, mais Disney place le divertissement comme but principal, ce qui, peu à peu, provoque l’échec artistique. Le conflit avec Oscar Fischinger, peintre abstrait et cinéaste expérimental, auteur de la belle séquence Toccata and Fugue de Fantasia, est révélateur. Fischinger quitte le studio. De même, l’inachèvement du film Destino, avec Dali, dont l’exposition montre dix-sept dessins.
En 1941, lors de la grande grève des studios pour le droit syndical et l’augmentation du salaire, Disney sera inflexible, et nombre de ses meilleurs artistes partiront en 1942-1943. La grève durera plus de deux mois, et fut menée, entre autres, par Arthur Babbitt, David Hilberman, Bill Tytla... Arthur Babbitt a créé Goofy, la reine et sorcière de Blanche Neige, le Gepetto de Pinocchio, la danse des champignons chinois de Fantasia et la cigogne de Dumbo. David Hilberman est le directeur artistique de Bambi, Tytla le père du magicien de L’Apprenti sorcier et de Dumbo, film qui sort après la grève. Si la séquence d’ivresse de ce dernier, avec la danse des éléphants roses, une des plus belles de l’histoire du cinéma d’animation par son graphisme simple et son superbe déluge rose, préfigure l’art psychédélique, l’art moderne a bien rendu la monnaie de sa pièce à Walt Disney.
Mickey est né :
La dernière salle de l’exposition montre l’impact sur le pop art : Boltanski, Warhol... Robert Compas, en 1978, peint : « Mickey n’est plus la propriété de Walt, il appartient à tout le monde ». Rancillac colle les têtes des personnages disneyens sur les visages des militaires de la junte chilienne... Il y a peu, l’exposition « Mickey dans tous ses états » montrait, aux côtés du film de Kenneth Anger désacralisant Mickey, les œuvres formidables des artistes du collectif berlinois Interduck revisitant toute l’histoire de l’art à l’aune de Donald. Leur tableau manifeste, Le canard est la mesure du monde, signe la fin des temps où l’être humain et les proportions de son corps constituaient la mesure de toute chose, à l’image du destin de Mickey.
(Voir le site du collectif berlinois : www.interduck.de)
Victime de l’anthropomorphisme obsessionnel du label Disney, la souris s’arrondissant apprit la soumission.
Quittant la campagne pour la ville, et le confort bourgeois près de Minnie devenue ménagère, Mickey n’a plus joué, dès 1945, que dans des films lénifiants, célébrant le rêve américain, le devoir, la famille. Les films de Disney dégénèrent, après-guerre, dans le formatage de l’industrie de divertissement la plus réactionnaire et vulgaire qui soit, aux couleurs et formes mièvres.
La souris qui brilla au firmament d’un véritable art accouchera, en 1955, du plus grand empire de loisirs bêtifiants, Disneyland. En France, les employés de cet empire se battent encore de nos jours pour de meilleurs salaires et des conditions de travail dignes.
Laura Laufer © 20-10- 2006
1. Système donnant un effet de profondeur au dessin animé.
Et pour finir, un extrait de Dumbo, au graphisme splendide. Le film tourné avant la grève de 1941 sortira sur les écrans après la fin de la grève.
Mais qu’a donc pris Dumbo pour voir des éléphants roses ?
20/10/2006